Interlude à la solitude
Fallait bien que ça finisse par arriver. Elle revenait de son cours. Ils avaient appris quelques pas de tango. Lui fallait un partner. Elle m’enseigna les pas. Puis la position. Main droite sur l’omoplate.
Pas comme ça. Reste détendu… C’est l’homme qui leade dans le tango…
…
J’ai leadé ça jusque dans ma chambre à coucher avec un o-soto-gari comme dernier pas. Cette fois-là, elle ne s’est pas débattue ni ne s’est esclaffée en s’esquivant. Elle me dévisageait de ses grands yeux effarouchés, avec ce quelque chose du chevreuil, inquiets et impatients face à la suite des événements. Moi je ne la connaissais que trop, la suite des événements – depuis le temps que j’en rêvais. Elle a bien protesté un peu pour la forme. Mais lorsque j’ai senti son cou qui commençait à se tortiller pour mieux s’offrir, comme des plages du sud au soleil ou à l’ouragan, j’ai su que j’avais gagné. Finalement, elle s’abandonnait. Vaincue. Par mon obstination, mon entêtement, ma persévérance ? Par ma passion, mon amour pour elle ? No se. Puis j’ai senti son odeur de femme émanant de sa chevelure, comme un sous-bois humide au temps des champignons. J’ai plongé dedans comme si je voulais me noyer. Elle a émis un son doux comme le vent dans les frondaisons. On s’est observé, immobiles sur le fil de fer du temps, et dans son regard j’ai perçu la naissance du monde aussi distinctement qu’une toile lumineuse qui retiendrait toutes les particules de l’univers ou tous les êtres entre eux. Et ce sont les yeux qu’elle a refermé qui m’ouvraient cette porte universelle. Nos mains se sont serrées comme des racines se disputant l’eau.. Il y avait trop de passion pour un seul coeur : il nous fallut être double comme les flotteurs d’un catamaran pour supporter le souffle brutal qui nous propulsait vers l’horizon inédit - jamais atteint - jamais assouvi. La chemise a coulé sur sa peau alors que mon cœur avait depuis longtemps glissé sur la glaise. Son corps enfin offert comme la saccharine au colibri, comme l’ozone au siècle, la révolte à l’idéaliste. J’ai fouillé partout, comme un cartographe dément, déterminé à arpenter la surface entière des continents. Des plaintes se sont élevées et le regard d’un enfant qui s’endort a traversé la beauté de son visage. Et tout n’était plus que volupté, sensualité, et nous roulions l’un sur l’autre comme ciel et nuage. Et l’automne s’est installé son visage et c’était le plus bel automne que je n’avais jamais vu et j’ai encore une fois cherché à en parcourir toutes les orées. Puis on s’est redressé comme des chiens des prairies ou des tamias surexcités et on a retiré toutes les entraves textiles à nos gestes de feu et d’eau, le fado de la nuit des temps de la femme et de l’homme, comme si le sort du monde en dépendait, comme si c’était nos dernières secondes à exister, comme si nous avions déjà perdu tellement de temps avant l’amour, avant de naître et de vivre pour vrai, comme une ombre s’enfuyant de l’aube, comme si la vie tout juste saisie menaçait à de s’écouler à tout moment dans l’entre-doigts comme un sel blanc du Yucatan, brûlant et trop libre pour la main maladroite de l’homme. Puis ses seins et son sexe ont lancé l’appel de tous les feux du monde et le lit, la chambre - Paris ! s’est embrasée et nous avons tous deux dansé, païens au sabbat des sens quelque part entre les portes hurlantes de l’enfer et la félicité du ciel. Puis je goûtais ses cheveux interdits sur ma langue comme des carex à l’interface des Fleuves, et ils sont devenus l’espace d’une saison la tente de notre intimité, la plus cossue des villa pour notre noce. Puis comme le cri des goélands qui s’élèvent dans l’azur, hurlants leur vertige et leur faim sans répit, nos noms chuchotés ont frémis de tous les cold turkey possibles, vibrants, grinçants comme des cordes violons, et je me suis mis à ramer de toutes mes forces pour aller la rejoindre alors qu’elle s’enfuyait, indifférente, toujours plus haut, toujours plus loin de nous deux. Puis je me souviens que ma conscience s’est fracassé comme un cristal d’Atlantide sous l’éblouissement d’un soleil du dernier solstice. Comme l’aveu d’un condamné juste avant l’injection, ne me restait qu’à lui admettre mon sentiment avec le seul mot qui le décrivait. Puis j’ai vu de minuscules limaces d’argent ramper sur ses joues comme l’enfantement d’une source et puis ça, je peux vous le jurer, elle l’a dit au moins une fois en me regardant droit dans la prunelle de l’âme avant de m’enlacer de plus belle. Elle l’a dit au moins une fois elle aussi : qu’elle m’aimait. Et comme le chant d’une armistice trop longtemps attendu et que reprennent en chœur et jusqu’à la migraine tous les clochers libérés d’un pays, je crois que mon âme a elle aussi soupiré, enfin apaisée. Et je me suis couché sur le dos et elle a aussitôt échouée sa tête trempée sur mon épaule et, sous la brise de nos souffles tièdes, je me suis senti le plus heureux des hommes, plus heureux que le mot bonheur même. Seul le silence savait transcrire le pouls de l’univers que j’entendais maintenant et qu’elle venait de me faire entendre aussi distinctement que dans un stétoscope. Seul le silence. Et encore !
C’est très rare, mais il arrive que ça soit comme ça la vie : parfait.
lundi, janvier 10, 2005
La fois où je l'ai enfin zinguée !...
Publié par
Coyote inquiet
à
9:53 p.m.
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7 commentaires:
Bouche-bée...
C'est moche avoir rien à dire quand on rencontre quelqu'un, mais ça arrive, même aux verbomoteurs!
Quel texte! Tout simplement superbe.
Patrick avait raison, ça vaut la peine de te lire
Je vais revenir souvent!
Mathilde
Merci. Je suis ému. C'est la première fois que ma prose semble toucher quelqu'un. Ou du moins qu'on me le manifeste.
...sans mots...c'est trop!...beau!
Lumières
Merci lumière.
Je suis un grand romantique, dans le fond.
Inquiet, allons donc, je ne vois vraiment pas pourquoi...
Superbe texte, vraiment. Vraiment.
De ceux qui te font baisser les bras, ouvrir la bouche sans qu'un son ne s'y extirpe, qui font éclater les barricades pour se frayer un chemin jusqu'à la sensibilité.
Merci bien La Greff.
Content de faire la connaissance d'un autre poète !
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