samedi, mai 20, 2006

Fouischhhhh ! (et work in progress...)

Comme un fouet qui bouscule les moutons de surface
La foule des arbres en liesse qui applaudissent à toutes branches
le fond du décor emprunté à novembre - les saisons savent se faire confiance
Une journée de pluie, c'est une journée de soleil plus subtile...

Bill Frisell et Pink Martini comme seule chaufferette. Reconnecté, j'ai pu vous lire jusqu'à satiété. Fête à Mathilde; Galad qui a survécu; Diesel en ascensio-fulgure; Brisebois et Louve encore volatilisés; Seb. Chabot qui est un sacré intello !; Démédan qui pond des textes de plus en plus courts- on se demande pourquoi...; ZeMan et Lady gravement malade : une de la grippe, l'autre dans la tête; Plourde en Korée (est-il parti ?); Dipat qui doit avoir mal à sa coupe de cheveux...; et tout ça à 10h51 !

On est un drôle de clan, je vous jure.

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Tiens, puisque rien n'est jamais fini, que rien ne se perd, rien de se crée, que tout se transforme et continue comme le yin et le yang des saisons, la métamorphose aux mille avatars du coeur, l'esprit blogue et les liens universels, urls onomatopéïques de la pensée tous azimuts - ordre des sens et du non-sens, soulevez-vous vers d'inédits horizons et embrassez l,être et l'espérances en autant de secondes qui vous sont allouées !!!...

Bon, ok. on va arrêter là.

'Ti boutte de texte pour vous déconcentrer... Je tente une nouvelle forme (Copyright), du ciné-web. Des petits bouts de films et du textes pour ceux qui comprennent moins vite ou si les acteurs ne sont pas assez bons.

Anyway.


(Voix off)

J’ai connu une drôle de fille...

La vie est un étrange rock’n roll – part I

N’empêche, avouez qu’on rushe dans la vie ! Pas facile de s’y retrouver des fois, non ?…

Oké, je vous le donne d’emblée : la vie est un spectacle incroyable. Indicible même. De loin la plus improbable des prestations à se dérouler dans le chaos cosmique. Comment alors, certains jours de jujubilation, ne pas voir le fait de vivre comme un insigne privilège, une chance inouïe, une invitation enluminée pour le grand bal du jet-set universel ? Quand on cesse d’être malade... Lorsque le premier souffle du printemps tousse dans vos cheveux après le long hiver…Quand un enfant sourit sur les genoux d’un père Noël à temps partiel dans le brouhaha d’un centre d’achats… La première fois où vous l’avez embrassée…

Pour ce qui est des autres journées, je présume que vous les connaissez tout autant que moi…

Pas pour critiquer, mais tant qu’à vouloir donner dans pareil spectaculaire, si on m’avait demandé mon avis, j’aurais suggéré de roder davantage le show avant que la troupe n’entreprenne la grande tournée… Le site web, je me serais assuré qu’il soit terminé avant de le placer en ligne !

C’est surtout au plan du scénario que ça cloche, je trouve. Trame confuse, intrigue relâchée… Et tous ces temps morts - d’une maladresse ! Faudrait davantage d’action, de grands sentiments. Une plus grosse provision de happy end. Pas mal plus de scènes érotiques !…

Je suis peut-être loin de tenir un rôle principal ou de partager les secrets du réalisateur, mais me semble que même en tant qu’acteurs secondaires, ce serait bien qu’il nous rappelle à l’occasion son intention (synopsis); à quoi il souhaite en venir exactement. Ça nous aiderait à conserver une certaine conviction dans nos scènes, me semble.

Mais bon, c’est lui qui décide, non ?... Et comme l’art n’est bien souvent qu’une pâle photocopie de la vie; la fiction, qu’une maladroite tentative d’imitation de la réalité, j’écrirai donc en étant le plus fidèle possible à l’original : étrange et rock’n roll. Et vous, vous vous débrouillerez avec ça.


La vie est un étrange rock’n roll – part II (Deutérium)

L’herbe est toujours plus verte chez le voisin, dit-on. Juste aussi qu’on ne commande jamais le bon plat au resto alors qu’il en a eu lui – le salopard - la sagacité. Au gré des hasards, des rares opportunités à s’être présentées, des choix posés, des efforts feints ou réellement fournis, des erreurs commises ou répétées, j’étais malgré tout parvenu à un quotidien supportable. Sporadiquement du moins. Pas le grand bonheur – ô que non - , encore moins la gloire ou la fortune; mais la diète suffisante pour passer au travers l’existence sans mourir d’inanition avant la tombée normale du rideau. Enfin, en respectant la barre stoechiométrique de notre capacité à la prévoir de nos calculs… Mais il y a des hypermétropes qui ne voient que de loin et j’en fais partie. J’en FAISAIS partie !…

Ni vedette ni sommité donc. Aucun lien de parenté avec ceux dont l’absence défigurerait le monde. Mais pas le dernier non plus, je ne pense pas. Tirais le diable par la queue, comme plusieurs; mangeais pourtant à ma faim la plupart du temps. Dormais au chaud au moins trois saisons sur quatre, rigolais, buvais parfois… pour ne pas dire régulièrement. M’arrivais même de baiser, certains jours de chance ! Ce n’était semble-t-il pas suffisant…

Un jour l’occasion se présente. On vous offre ce billet pour l’autre bout du monde. Un navire appareille et déjà un franc Ouest gonfle ses blanches voiles. Faut faire vite ! Presque sauter du quai au pont, baluchon à l’épaule, la passerelle qui se cambre comme un plongeon sous nos pas. On a peu de temps pour réfléchir, peser le pour et le contre. D’un côté, il y a le connu. Tout ce qu’il a de réconfortant et d’exaspérant. La famille, les amitiés, une certaine forme de sécurité et de continuité. Ta mauvaise réputation aussi, dont tu ne cesses d’être l’artisan et la victime. De l’autre, une rupture, une multitude de futurs possibles, comme au sortir d’une peine. Échapper à la médiocrité, cette cage rouillée qui a toujours emprisonné ta vie. L’aventure, la fortune, le succès rêvé. Nouveau départ. L’amour, qui sait ? - ô toi, plus irrésistible des chants de sirènes !…

Il existe des sauts quantiques dans notre existence. Des moments ou périodes que l’on traverse et après lesquels on n’est plus exactement le même. On saute à un autre niveau, comme l’électron. On devient un isotope de soi-même, tel une eau alourdie de deutérium. On se densifie. Et on ne revient jamais en arrière, vers l’édulcoration. On devrait tous s’asseoir et prendre le temps d’observer ces réactions lorsqu’elles surviennent, de nommer ces étapes. Les palper, les scruter et lever le regard vers l’horizon de leurs conséquences. Quand, sans carrière ni même de contrats, sans rendez-vous important d’inscrit à l’agenda avec qui que ce soit à part peut-être la mort, on a, comme moi, la tête pleine d’échos et une certaine (persistante) lubie des mots, on le fait. On s’assied, et l’écrit.

Cette période portera indiscutablement le nom d’une femme : Sarah-Lune.


Les pas inquiets du coyote (premier billet)

La première véritable neige est tombée sur la Petite-Nation. De gros flocons mouillés sont descendus d’un ciel bas depuis hier et ont complètement recouvert l’ocre et la terre de sienne si caractéristiques de novembre. Le paysage est tout blanc, mais le bleu des nuages s’y reflétait encore comme à la surface d’un lac tout à l’heure lorsque je m’y promenais. Un silence de sourd régnait, que seuls contrariaient (contredisaient) de rares chants égarés de mésanges. La luminosité diffère soudain et pince la corde nostalgique des premières neiges d’enfance.

Clifford a travaillé pour la dernière fois hier. Je puis enfin considérer ma maison comme terminée. Bon, il reste bien quelques prises de courant à poser et le plancher d’une chambre à vernir, mais écoeuré comme je suis de la rénovation au terme de ces six derniers mois, ça attendra. Je considère l’opération comme achevée. J’ai maintenant un toit, du bois pour l’hiver, la solitude pour seule compagne dans une région que je ne connais quasiment pas. Depuis hier, le téléphone fonctionne et je viens tout juste de réussir à me connecter sur internet. Malgré l’insupportable lenteur de transmission que permettent les lignes téléphoniques d’ici, j’entends tout de même démarrer un blogue, histoire d’écrire un peu. De mettre en mots ce nouveau quotidien. De tenter de refaire le point sur ma vie, de me la réapproprier. De recoller à tout le moins du mieux que je le puis les morceaux de ce qu’il en reste…

Tout à l’heure en marchant, je suis arrivé face à face avec un coyote, emmitouflé dans sa toison d’hiver. Il sortait du bois et a sursauté en m’apercevant. Moi aussi j’avoue. Il s’est aussitôt enfui par le champ du voisin et, au bout d’un moment, a stoppé sa course, s’est retourné vers moi et m’a dévisagé, l’air inquiet. J’ai eu l’impression de me voir dans un miroir, à cause de ce regard rempli d’incompréhension qu’il tournait vers ce qui venait de lui arriver. Je l’adopterai donc pour totem et tenterai de vous divertir de mes cyber-billets, de réfléchir tout haut ou de pleurer tout bas, sous le pseudonyme de Coyote inquiet.


La vie est un étrange rock’n roll – part III

Après tout ce temps, j’y repense encore aujourd’hui à peine du bout des neurones… Comme un traumatisme qu’on se remémore en endiguant la sourde crainte qui jaillit toujours dans nos entrailles telle une eau de roche et qui risquerait à tout moment de déborder et de nous inonder. Et lorsqu’il m’arrive de penser à eux, eh bien, ce n’est pas vraiment en termes élogieux…

On m’avait pourtant mis en garde à leur sujet; leur réputation s’est propagée (répandue) à la surface du globe. Mais bon, toujours plus fin qu’un autre, moi; un peu comme eux, d’ailleurs ! De plus, paraît qu’ils avaient changés. En mieux. Qu’on leur rabattait les oreilles de publicité les exhortant à bien se comporter, à s’astreindre individuellement au civisme afin de continuer collectivement à jouir des retombées du tourisme. Bref, qu’ils s’étaient améliorés suite à un méthodique endoctrinement médiatique, qu’ils s’étaient humanisés, civilisés. Et en plus : qu’ils nous aimaient particulièrement; nous, les « Canadiens » ! Après tout, au nombre d’artistes qui font fortune chez eux, devait y avoir un fond de vérité…

Pas grand chose ici n’avait été à la hauteur de mes attentes... Rien de bien exceptionnel là-dedans : je ne suis pas le premier à qui ça soit arrivé; et fort probablement je ne serai pas le dernier à qui ça arrivera ! Qui plus est, c’est en grande partie ma faute : rêveur incorrigible, j’ai toujours placé la barre plus haut que ne saute de fait la réalité. Idéalisme ? Perfectionnisme ? Case en moins ?… Va savoir ! Comme on dit : la vie, c’est souvent ce qui arrive quand t’avais prévu le contraire… La mienne en tous cas. De toutes façons, et ce malgré tous les épouvantails que brandissaient les copains pour détourner mon regard, j’étais rendu là : à partir. Plus loin; encore plus loin. Quand on a fait le tour d’un endroit, faut aller ailleurs, non ? Quelque part, forcément, un pied esseulé se balançait dans le vide en rêvant de mon cul…

Le contrat m’était tombé dessus un peu comme par magie. Prédestiné ? m’interrogeai-je. Trouvé dans Internet sur un site d’emploi. Avais postulé le plus simplement du monde, sans lettre de présentation ni rien d’autre que mon c.v. en document attaché, lui-même troué d’inexplicables vides comme un panneau de bord de route sur lequel l’absence de spécialisation aurait déchargé son .12 dans un geste d’exaspération et de désœuvrement. Je m’étais dit : « aucune chance… », mon attitude habituelle (et confirmée jusqu’à l’automatisme par plusieurs années d’échec). Ici, normalement, on exige de la compétence ou de l’expérience, voire de l’efficacité, dans un poste avant de considérer ta candidature. Là, et pour la première fois, on n’en faisait pas même mention. On se fiait au potentiel, traquait le possible. Enfin, un minimum d’expérience suffisait apparemment, et la maison t’offrait les premiers barreaux de l’échelle.

J’ignore si le léger décalage technologique subsistant entre nos deux pays peut en avoir été la cause, mais on accordait aux informaticiens d’ici une plus-value qui nous rendait hautement monnayables. Il va sans dire que, dans mon cas, cette surenchère n’avait aucune raison d’être. Mais bof ! je n’allais pas faire de chichi et cracher sur pareille occasion ! J’étais mûr pour un changement, et on m’en offrait tout un. Qui plus est, rien de moins que sur un plateau d’argent. Mon titre de technicien junior, chaton vulnérable tout juste ronronnant, du jour au lendemain, se métamorphosa en gros matou feulant d’ingénieur de niveau intermédiaire. Wow !… Bon, si on y pense, pas vraiment de quoi de se péter les bretelles, mais tout de même ! Dans la vie, où chaque journée est bien souvent meilleure que la suivante, les améliorations ne sont pas monnaie courante et surprennent toujours agréablement.

- Vous trouvez pas que vous y allez un peu fort ? Faut quand même que je livre la marchandise ! avais-je objecté, ne serait-ce que par principe.

- Non non, pas du tout, ça s’inclue dans le cadre normal de la nomenclature française en fonction des prestations qui te seront attribuées dans le contexte des missions conférées et dont tu t’acquitteras selon les modalités usuelles et déterminées par l’entreprise lorsque placé en clientèle…

- … (Hèye, wo, de quoi on parle ? On parle-tu encore d’une job ?...) …

Eh bien non, justement. On parlait d’un emploi. Nuance. Pour un travailleur autonome au parcours aussi terne et décousu que le mien, un élément sommes toutes des plus moyens de sa génération mais dont par ailleurs les précarité monétaire et fragilité de carrière constituent hélas des indices barométriques autrement plus représentatifs et largement partagés par une portion non négligeable de ses concitoyens post-baby-boomiques, entendre de tels propos, pareille terminologie inouïe, avait de quoi me laisser perplexe;voire ému…

- Tu n’as qu’à signer ici…

Je dus réfréner une larme en lisant à nouveau le document… Contrat d’un an. Salaire scandaleux. Statut de cadre détaché qui te soustrayait des griffes de l’impôt – puisque c’est toujours au riche qu’on offre le ticket gratuit. L’employeur qui te payait le billet d’avion et deux semaines de chambre d’hôtel à l’arrivée, le temps que tu retombes sur tes pieds, te remettes du décalage et procèdes à ta recherche d’appartement.

Le diable peut avoir une belle voix…


Six heures d’avance sur son karma

La vie ce n’est pas comme dans un bouquin : il est rare que la démarcation entre les chapitres soit claire, perceptible même. D’ordinaire, on ne sait jamais quand une période se termine et s’entame la suivante. C’est flou. C’est un peu comme pour la météo, les saisons. Les entre saisons, plutôt. Ce n’est plus l’hiver; il pleut, c’est bleu… Puis un matin, le soleil resplendit et l’été éjacule sur les t-shirts et terrasses. Bon oké, on fixe des dates, précises et incontestables, preuves scientifiques à l’appui. Des solstices ou des équinoxes les vingt-et-un vingt-deux à telle heure tapante. La raison à sept ans, l’adolescence à douze ou quatorze, la maturité à dix-huit, la retraite à soixante. Mais on a beau baliser le temps et nos vies avec un soucis maniaque, reste que l’un comme l’autre échappent fondamentalement à notre contrôle et se foutent éperdument de nos conventions. Des courants marins colossaux se jouent de nous sous la rassurante surface turquoise. Le film de ta vie se compose plutôt dans sa presque totalité d’une suite d’épisodes épars, de rushs sans connexions apparentes; le plat du jour, d’événements, de rencontres, d’incidents et d’interactions comme autant de légumes en macédoine qu’on pile ensuite comme des patates et te présente en grosses boules orangées en bordure du steak haché trop cuit. Et ce n’est souvent qu’après coup, avec le recul, que s’estompent les aplats de couleur et qu’apparaît le tableau, que tu découvres les fils qui reliaient directement entre eux les événements et te les faisaient traverser, te contrôlant aussi strictement que les cordelettes d’un Pinocchio en bois… On est de drôles de marionnettes, des fois. Pensantes, aimantes… Mais des marionnettes quand même. Des marionnettes du hasard, ou du destin. Comme si d’étranges forces se disputaient le contrôle de nos gestes et la direction de nos petits pas percutants. À droite, à gauche; en avant, en arrière… Sans doute pour cela qu’on a l’air d’éternels néophytes dans l’art de vivre. Qu’on a l’air si cons, quoi !

Mais cette fois, ce n’était visiblement pas le cas. La coupure était on ne peut plus évidente. C’est ce que me faisait remarquer Rob, mon pote Innu dont la silhouette se calque sur celle d’un frigo, à notre sweat lors de mon dernier voyage sur la Côte Nord; sweat au cours duquel je lui avais fait part comme aux autres de mes intentions.

(Scène 1)

- C’est comme si tu rebâtissais une nouvelle cabane pour vivre… Pourquoi t’es pas content de ton campe pis tu veux toute le détruire ? me lança-t-il gravement de son accent nasillard et chuintant, tout en me passant la tresse de sauge boucanante, afin qu’à mon tour je purifie mon esprit.

J’essuyai une coulisse de sueur. Trop tard : l’œil me piquait. Ou encore : c’était toute cette fumée…

- Insatisfaction, disons. J’ai trouvé l’hiver pas mal long dans mon apparte glacé pis j’ai pas l’intention d’en passer ben ben d’autres de même.

- Pourquoi t’en a pas profité pour écrire ? C’était le temps ! C’est pas ça que t’as toujours voulu faire - écrire; c’est pas ça que t’as toujours rêvé de devenir - écrivain ? En tous cas me semble que c’est avec ça que tu nous a tout le temps cassé les oreilles !...

- Bull shit, Rob ! J’écris plus, tu le sais… De un, tout a été dit; pis par des gens capables de le faire pas mal mieux que moi. Y’en a déjà une chiée, de livres; de chefs d’oeuvre même ! De deux, l’écriture a jamais changé un seul pas de la marche des hommes. Pas plus qu’à la sauvagerie du monde, si tu me passes l’expression, ou à l’injustice aveugle de la vie. De trois, avant de rêver gagner ma croûte avec ma plume, ben y’aurait fallu que je le reçoive en quantité suffisante, ce talent d’écriture-là. Je l’ai passablement essayé, non ?... C’est obligatoirement pourri, ce que je ponds, sans ça j’aurais fini par en avoir un bon écho à un moment donné, non ? En autant d’années !... Pas rien que des refus ou des silences tous azimuts ! T’es pas d’accord ? C’est mathématique, me semble. De l’algèbre booléenne de base.

- Ah, tu sais, moi, l’écriture pis les livres, avec ma cinquième année… C’est toi qui le sais; c’est toi la bolle ! Sauf qu’on dirait que t’essayes plusse de te convaincre toi que de me convaincre moi…

- Ah, bull shit, Rob ! Tu me fais chier… De toutes façons, j’en n’ai plus rien à foutre de la dèche ! La profession de poète maudit, c’est fini. J’veux plus rien savoir. Non Rob, je te le dis ! Ça fait longtemps que j’attends une pareille ouverture de porte : un travail, avec un vrai salaire, sur un autre continent, dans une nouvelle ville… C’est pas tous les jours qu’on t’offre une chance de repartir à zéro de même. Je recommence à neuf, Rob ! Une nouvelle vie ! Une nouvelle vie…

- C’est ça que vous comprenez pas, vous autres, les blancs…

- Hèye, pas de « les blancs » avec moi, veux-tu ?... Tu sais très bien que j’ai l’âme encore plus rouge ou noire que la tienne. La seule différence entre toi pis moi, c’est que moi j’ai pas pris de PCP !

- Comme tu veux… Ce que TU comprends pas, d’abord ! La vie, c’est pas comme une traque de chemin de fer; c’est comme un cercle. Tu penses que tu vas changer de traque, que tu vas repartir vers un nouvel horizon plein de soleil parce que tu pars vers l’Est… Peut-être que ça va aller mieux, matériellement. Un bout de temps, en tous cas. Mais tu vas juste tourner plus vite sur le rim de ta roue au lieu de t’en aller là où ça se passe, dans le centre, pis de devenir, d’être ce que t’es… Vas-y ! Pars d’abord, si c’est ce que tu veux ! Fais ce que t’as à faire ! Faut probablement que tu partes pour mieux revenir, que tu te perdes au milieu de la forêt, loin des tiens pis de ce que t’es pour apprendre à retrouver ton chemin. À TE retrouver…

Balivernes d’indien, j’ai pensé.

- Ah, Bouddha ! ta gueule avec ton samsara !... De toutes façons, plus j’y réfléchis, plus je suis décidé. Ma décision est presque prise. Ça fait qu’arrête donc de gaspiller ta salive… Repasse-moi donc la tresse de sauge, s’il te plaît. Pis le joint, tant qu’à y être…

On a plongé dans la Papinachois glacée, puis on est allé pêcher quelques mouchetés dans le rapide, juste un peu plus haut que là où on avait ramassé les sept grands-pères qui nous ont tant fait suer. On s’est rallumé un feu près du chalet et, quelques bières plus tard, on les a fait rôtir sur une vieille grille toute carbonisée au-dessus de la braise et on s’en est délecté en terminant la caisse. Au matin, je lui ai donné un pouce jusqu’aux Escoumins. Je m’y suis arrêté une heure ou deux pour contempler les baleines et me faire peindre le torse aux ultra violets par le vent frais du large et un soleil presque aussi hypocrite, puis suis reparti vers Montréal en ressassant tout ça…

En fin d’après-midi, alors que je déambulais sur Mont-Royal pour me dégourdir les jambes, j’ai croisé Sandra et elle m’a offert de l’accompagner pour une bière au Boudoir, en attendant que son copain Denis vienne l’y rejoindre pour le cinq à sept.

Sandra, elle, croit à l’horoscope… Elle prétend que les planètes influencent non seulement nos attitudes, humeurs, gestes ou décisions, mais aussi les événements eux-mêmes. En apprenant ce qui m’arrivait, elle m’a un peu questionné sur mes signe et ascendant puis m’a révélé que Jupiter logeait en ce moment dans ma maison natale et que cette offre n’était autre chose qu’une une fleur de sa part. Mars, quant à lui, stationné dans mon secteur voyages, devait me pousser à relever le défi et à entreprendre l’aventure… Bon ! Pluton et Saturne qui avaient décidé avant moi du genre d’année que j’allais passer, astheur ! (N’empêche qu’elle avait raison…)

- Cause toujours, tu m’intéresses… Tu veux-tu que Dionysos t’en offre une autre, Miss Flyée ?

En sirotant notre deuxième, Denis arriva de son travail comme prévu et, après les embrassades et poignée de mains d’usage, s’immisça dans la discussion pour ne pas tarder à la monopoliser. Sur un ton cérémonieux et recueilli, et qui tranchait on ne peut plus avec celui du babillage et des badineries de cinq à sept qui avaient cours autour de nous dans l’atmosphère enfumée, après m’avoir gravement fixé et s’être légèrement incliné vers moi, il me révéla enfin LA vérité, celle que je désespérais d’un jour trouver…

- Tout est une question de karma, man…

Si j’ai bien retenu les grandes lignes de sa dissertation (qui, pour utiliser un euphémisme, traîna légèrement en longueur…), il s’agit d’une sommation exhaustive de toutes tes pensées et actions, même de celles dont tu ne te souviens pas et qui ont eu cours dans des vies dont tu ne te souviens non plus mais dont tu es redevable. Par une mécanique comptable infaillible et astralement certifiée, des créanciers spirituels, huissiers ou banquiers de l’être comptabilisent scrupuleusement tes dettes ou profits. La seule administration de l’Univers sans bavure répertoriée ! Dépendant des résultats desdits calculs - à la rigueur sans faille, va sans dire ! - , tu encaisses ou t’acquittes sans broncher à la mafia karmique. Si t’as été gentil ou que tes belles pensées tombent dans l’œil de Mister K., oké ! tu passes au guichet et ramasses ton dû : ne te reste qu’à fourrer ton trésor dans la poche de tes jours. Presque tous tes projets se réalisent en accord avec les plans initiaux; et au moment souhaité la plupart du temps ! Tu es bien dans ta peau, bien dans ta vie, parfaitement évaché dans ton époque… : un modèle d’intégration sociale. Ça roule et ça coule. Suite logique : il y a de fortes chances pour que ça ne tarde pas à roucouler. Dans le cas contraire, si tu fais partie du groupe moins doué ou moins bien barré, bien c’est un peu comme pour la pauvreté : il est rare que tu ne t’y enfonces davantage ! Ma vie se résumant sans exagérer comme je vous l’ai dit à un agglomérat visqueux d’à peu près tous les événements opposés à ceux que j’avais prévus ou espérés, je puis conclure que les chances sont bonnes que je fasse partie du second groupe…

Sauf que. En supposant qu’il ait effectivement eu raison, il devenait évident que ma situation de transfuge outre-Atlantique m’offrait par le fait même l’occasion de déjouer cette gestapo karmique dont il venait de m’apprendre l’existence et qui ne m’avait effectivement pas lâché d’une semelle depuis le jour où j’avais délaissé le réconfortant boulevard du conformisme à l’époque des études pour l’étroit et buissonneux sentier de ma réalisation littéraire et personnelle (individuelle)… (Choix téméraire et insensé que depuis longtemps déjà je regrettais, amèrement).

Vous ne voyez pas ?… Bon. Je vous explique alors... En signant leur foutu papier, je devenais aussitôt apatride. Déporté. Émigré. Déjà les fonctionnaires de Mister K. en prenaient pour leur rhume et égaraient nécessairement ma filière ! De surcroît, en changeant de continent, comme Christophe mais à l’envers, je prenais une avance de six heures sur l’heure autour de laquelle se réglait jusqu’à présent ma vie, supposée se dérouler en terre américaine à la longitude 75o Ouest plus ou moins quelques minutes. Je devançais mon karma d’un océan, de trois cent soixante bonnes minutes ! C’était suffisant pour mêler n’importe quel fonctionnaire de ce monde ou d’un autre : comment ne perdraient-ils pas toute trace de mon existence !?… Ayant glissé hors de toute juridiction, dans une sorte de no-man’s land karmique, il m’était alors loisible de repartir à zéro, un peu comme un commerce qui reprend ses activités sous un autre nom après une faillite. J’étais donc libre de me retaper un beau karma tout neuf – j’en avais bien besoin. Et j’allais le faire…

Vous l’avais-je dit ? J’ai signé le contrat.


Rencontre du troisième type

La première fois que j’ai vu Sarah-Lune, ce fut juste avant le vol...

Faut vous préciser que j’ai une peur bleue de l’avion. Ironique pour un gars qui, enfant, rêvait de devenir pilote ou astronaute… Donc, pour remédier à cette peur panique, atténuer, voire éliminer ces sueurs froides et ces palpitations claustrophobiques, avant de m’engouffrer dans le corridor qui conduit à l’appareil, je me bourre invariablement de pilules. Des calmants, sédatifs, anxiolytiques ou ouattêveur. Des petites roses et parfois une demi moyenne, rose aussi mais plus foncée celle-là. Ça cogne… Solide. Je rentre toujours dans l’appareil les genoux mous comme du rutabaga trop bouilli ou de la purée de panait. C’est donc après un pareil coup d’assommoir, les doigts engourdis au point d’échapper sur moi n’importe quel breuvage, que j’ai vu Sarah-Lune pour la première fois… Enfin, pas tout à fait.

Voilà ! Je suis donc à l’aéroport de Dorval, aussi perdu qu’un chien sans son maître. Deux immenses sacs en précaire équilibre sur un panier métallique semblable à ceux avec lesquels on fait notre épicerie. C’est une journée magnifique de juin. Il fait trente-trois degrés, sans l’humidex. Je me sens plus anxieux encore qu’avant d’aller chez le dentiste. Presque paniqué, je me vilipende intérieurement. Pourquoi ai-je signé ce foutu contrat ? Au moins, ici, je connaissais ma vie ! Maintenant je m’apprête à embrasser l’inconnu. Une fois de plus. Comme un mariage par correspondance sans avoir vu la photo de la belle Philippine, aussi rassurant qu’une baise torride et sans condom à Bangkok ou à Dakkar. Je suis arrivé quatre heures à l’avance. Je ne peux me permettre d’être en retard; les avions n’attendent pas les lunatiques. Ce matin, pour me libérer d’une partie du stress qui m’accable, je me suis tapé une bonne heure de jogging. À 40 degrés, c’est chaud. On transpire légèrement… Je luisais comme un cinq sous de l’année. Ça m’a calmé un peu, heureusement. J’ai siphonné plusieurs verres d’eau au retour, pour contrer le mal de tête qui naissait en raison de la déshydratation. L’aéroport grouille de monde. C’est le temps des vacances. Plusieurs étudiants partent pour l’été, d’autres pour moins longtemps. D’autres enfin, comme moi, pour au moins un an. Des hommes d’affaires reviennent de Toronto, New York ou Syracuse en troupeaux aussi stéréotypés qu’empressés. On voudrait parfois que le temps s’arrête, mais c’est toujours à ces moments-là qu’il déboule on dirait. Inexorablement, l’heure avance et le moment fatidique approche, silencieux et fluide comme une couleuvre vers la souris pétrifiée. Je me sens comme une perruche dans une cage qu’étudie le Persan. Aux haut-parleurs, une voix charmante appelle les retardataires et précise les numéros de vol, en français puis en anglais. On dirait un bingo monstre. Ticket pour un ailleurs avec possibilité accrue de participer au sweepstake de la mort… Non, il ne faut pas penser comme ça. Les avions ne tombent pas souvent. C’est plus sécuritaire que l’auto. Et Dieu sait que j’ai roulé sans qu’il ne me soit jamais rien arrivé. Je suis chanceux au fond. Croisons les doigts, juste au cas, et touchons du bois. Puisqu’il n’y en a pas à portée, je me cogne sur le crâne...

(Scène 2)

- Qu’est-ce que tu fais là ?

- Ah, rien...

- T’as oublié quelque chose ?

- Non non.

C’est ma sœur : elle est venu me reconduire à l’aéroport. C’est à ça que ça sert parfois la famille : nous aider à débarrasser le plancher. Non, c’est injuste. Elle m’a donné un lift pour me rendre service, généreux de sa part. En gros, elle est gentille. Mais quand elle me faisait trop chier, plus jeune, je l'appelais Isafiel. Les grandes sœurs peuvent parfois être féroces. Elle est avec mon neveu de trois ans. Il joue avec les chariots d’aluminium, les pousse comme des gros camions. Chanceux !... J’aimerais bien jouer à quelque chose moi aussi plutôt que d’être ici à affronter la réalité, les conséquences de ma signature et l’implacable devoir d’aller faire quelque chose de sa vie en m’expatriant…

Anyway, il ne faut pas penser comme ça. Mon choix est fait. J’ai signé. Je pars. C’est le début d’une nouvelle vie et c’est dans l’enthousiasme que je dois l’entreprendre. J’aurai enfin la chance de faire quelque chose de bon comme Isa, entamer une carrière sérieuse, poursuivre et atteindre des objectifs valables. Être utile aux autres, à la société. Pour une fois, les parents ne seront pas que fiers d’elle !

La ligne d’attente se forme et Isabelle propose que nous allions nous y insérer. J’espère obtenir un siège près du hublot. Je laisse mon neveu pousser le porte-bagages un instant, mais prend aussitôt la relève. On ne rit plus, hein, ti-cul ? Même jouer exige un effort quelquefois... Faut dire que des bagages pour un an, ce n’est pas une plume ! Deux grosse poches de hockey bourrées à s’éventrer ! J’atteins le maximum du poids permis. Tout juste 64 kilos de paperasse, vêtements d’été, d’hiver et d’entre saisons. Cafetière expresso italienne et de vrais mocassins innus en peau de caribou que m’a donnés Rob, pour entretenir le mythe de ma cabane au Canada... On achètera le reste là-bas, avec le vin et les fromages ! J’espère juste que ma balance était bien calibrée.

On fait la grue sur un pied puis sur l’autre depuis un bon moment déjà ma sœur et moi en tentant de distraire et d’amuser le petit qui commence à s’impatienter quand je la vois pour la première fois…

Je ne me souviens pas avoir ressenti quoique ce soit d’extraordinaire en l’apercevant tourner le coin et pousser malhabilement son carrosse, apparemment trop pesant pour sa frêle constitution. Toutefois je notai l’énergie avec laquelle elle se débattait dans son entreprise. Bof ! juste une belle fille de plus... ne me donnai-je même pas la peine de penser en continuant à l’observer distraitement. Montréal éclôt des plus belles filles du monde à l’année longue. L’été, c’est pire encore. C’en est parfois douloureux – un vrai supplicie pour célibataires !

C’est donc une femme plutôt pressée qui interpella mon regard distrait à notre première rencontre. Belle certes, élégante assurément, avec de surcroît une touche d’originalité vestimentaire, ce petit look excentrique qu’on rencontre souvent à Montréal. N’empêche, ce segment de rush serait disparu depuis longtemps de ma mémoire n’eût été du fait que ce même bout de pellicule deviendrait l’ouverture d’un film dans lequel nous étions destinés à jouer elle et moi. Comme je précisais, au nombre de belles filles qu’on croise en une seule journée ici l’été, faut pas s’étonner qu’elles s’amalgament en un tout protéiforme au bout d’un moment auquel ne cesse d’ajouter à chaque heure de supplémentaires cellules, proliférante méiose de beauté dont notre oeil intérieur n’arrive plus à retracer toutes les multiplications et arborescences qui s’y bousculent. C’est inévitable. Pourtant cette fille-là, et sans raison identifiable, je n’aurais ni le temps ni la félicité de l’oublier…

Puisque je continuais à ne pas vraiment la regarder avec un peu trop d’insistance, ma sœur joua du coude :

- Franchement, Yves !...

- Non, non... j’étais juste dans la lune, me défendis-je.

- Qu’est-ce que tu lui trouves ?... Ouais, c’est vrai qu’elle est jolie... Elle a un genre.

- Bof ! Déjà vu mieux... Rien que la fille au guichet là-bas, regarde comme elle est ...

Puis j’eus l’impression croissante et étrange qu’on me soufflait ce que je disais, ou d’avoir déjà entendu les mots alors même qu’ils sortaient de ma bouche.

- Hein !... C’est bizarre: j’ai déjà rêvé à ce moment-là, poursuivis-je. Comment on appelle ça, donc ? Du déjà-vu ?

- Tout à fait. Mais ça, c’est juste à cause de toute la drogue que t’as consommé dans ta jeunesse pis de l’alcool que t’imbibes encore comme un cégépien… Le pont entre tes deux hémisphères cérébraux est aussi rempli de nids de poule que les rues de la ville, ça fait que, des fois, ça provoque un léger décalage…

Sacrée sœur - toujours aussi sarcastique ! Et pragmatique. Pas elle qui a inventé l’horoscope, je vous jure ! Non, en fait, le rêveur empoté et improductif de la famille, ce serait plutôt moi, Yves Vadeboncoeur, benjamin surprotégé qui ne suis pas même pas parvenu à devenir gai. Mais là, les choses vont changer ! Côté ouvrage, je veux dire…

Cette fille, dont je ne connaissais le nom et que je n’avais nulle envie de connaître, avança donc d’un pas plutôt affairé vers le stand d’Air France où nous patientons ma sœur, son fiston Hans-Ulrik et moi. Elle portait une robe légère appropriée aux journées de sauna qui nous suffoquaient depuis quelques jours, robe d’été qui dévoilait des formes plus qu’agréables. Son visage était magnifique me sembla-t-il, mais je ne m’attardai ni sur lui, ni sur le reste d’ailleurs, me sachant observé par ma sœur et ne souhaitant pas encaisser de raillerie supplémentaire, déjà bien assez nerveux à l’idée de prendre éminemment l’avion. C’est d’ailleurs cette perspective qui rendait mes mains moites, presque gluantes et que je devais sans cesse essuyer sur les cuisses de mes pantalons, beaucoup plus que la chaleur de cette fin d’après-midi ou le passage d’une belle étrangère à mes côtés. À ce sujet, commençait à être temps que je refile mes bagages, obtienne ma carte d’embarquement, paye ma taxe d’aéroport et gobe mes petites pilules magiques...

Un détail encore; deux. Son teint était anormalement pâlot pour une journée de solstice, en comparaison surtout avec celui de la majorité des gens qui circulaient dans l’aéroport. Elle avait les lèvres pulpeuses et deux billes foncées, plus brunes que du végémite, scintillantes comme de l’acier poli, sous les larges parapluies de ses sourcils et que recouvraient langoureusement ses paupières, lui conférant un certain glam de mannequin de mode ou de vedette blasée. Comme j’étais toujours en train de ne pas l’observer, elle tourna sèchement la tête dans ma direction et nos yeux se croisèrent un instant. Puis elle poursuivit vers son destin, tracé droit devant elle, du moins en donnait-elle la ferme impression.

Plutôt que de longer la file jusqu’à son extrémité pour y prendre place et attendre patiemment son tour, elle coupe court et se rend directement au comptoir. Un agent se libère. Elle étale un sourire ravageur au monsieur à qui c’était le tour et lui explique apparemment les raisons de l’exceptionnelle urgence de sa situation… Le type cède le passage en plissant un sourire jusqu’à sa calvitie, auquel elle répond poliment avant de procéder, efficace tout de même.

- Ouais, elle est fantasse ! observe Isa.

Ses bagages sont soupesés et partent aussitôt vers l’entrepôt ou la soute, puis, après avoir resalué le type, elle s’évanouit dans la foule du pas alerte des gens qui sont toujours en retard à un rendez-vous. Le maintien mondain; une courte robe d’été l’affublant par ailleurs d’un air vaguement bohème.

Tout son paradoxe était contenu dans cette seule scène…

Un équipage fend la foule en traînant ses bagages comme des danois bien dressés. Un véritable cliché : le commandant grisonnant, avec ses gallons dorés et sa casquette de travers; son copilote, un jeune Robin à la peau noire, cheveux tout aussi cours, et l’hôtesse, cheveux châtains remontés en chignon sous un béret coquettement incliné retenu par des Bobépines. Tous en bleu marine. N’empêche, je suis bien content qu’il y ait des personnes plus straights que d’autres et que ce soit eux qui pilotent les avions plutôt qu’un de mes chums ou moi-même !


Bulle, envole-toi dans les airs…

Ce qui est bien avec les petites pilules, c’est qu’on reste tout de même lucide. Je veux dire : je ne me sens pas euphorique comme si j’avais fumé ou sniffé. Pas même plus sociable et enjoué comme lorsque on boit quelques verres. Je pourrais presque travailler dans cet état sans qu’un patron s’en aperçoive. Je me sens juste plus relaxe; beaucoup plus relaxe. En fait, les cracks de la bourse, les supplices existentiels ou les angoisses métaphysiques, en ce moment, ils ont disparu dans le trou du lavabo comme les reflets multicolores de l’eau savonneuse. Si le pilote se prend de la fantaisie de faire des loops au-dessus du Golfe, il a bien beau ! Pas moi qui va le dénoncer. Ça ne me dérange pas vraiment. Ça pourrait même être drôle… En fait, il n’y a plus grand chose qui me dérange. Surtout pas de la voir assise là, deux rangées plus loin, en train de lire son magazine de mode…

On est comme dans un gros aquarium climatisé, tranquilles comme des poissons néons sous le fluo violet un soir de semaine bien noir et bien endormi. Dehors, les avions jouent à une lente chaise musicale.

Quand elle est partie, ma sœur a fait preuve d’une inhabituelle sentimentalité : elle a versé une larme en me souhaitant chance et bonheur et m’a serré dans ses bras. J’ai pris ça cool. Peut-être un peu les pilules... Hans-Ulrik, pour lui, ce n’est qu’un bye-bye-mon-oncle-Yves de plus, en rien différent des autres. Trop jeune pour comprendre qu’une année, c’est plus long que de coutume.

(Scène 3)

- Fais attention à toi puis donne des nouvelles, petit frère.

- Oui oui, Isa, t’en fais pas. Tu viendras me visiter si tu peux. Merci encore pour le lift.

J’ai grimacé quelques sourires du gars au-dessus de ses affaires, gesticulé des bye-byes en prononçant petit nègre pour mon neveu jusqu’à ce qu’il se détourne et oublie ma présence, puis me suis enfoncé vers le goulot de sécurité, grain de sable que plus rien n’empêche de passer de l’autre côté du sablier. De temps en temps ma sœur me renvoye la main pendant que mon passeport est contrôlé, mon billet vérifié, mon bagage à main passé aux rayons X, puis je m’engouffre vers mon destin, seul comme un condamné dans le couloir de la mort, comme un enfant face aux monstres qui résident sous le lit.

- Bon voyage, Monsieur.

- Merci.

Ouais, bon voyage... Je le souhaite aussi. En cet instant, je mesure toute l’ampleur des conséquences de ma signature ! Mais c’est fait. Faut foncer maintenant. On ne peut plus reculer. De quoi j’aurais l’air devant ceux qui ont organisé mon party de départ ? Bien sûr ce n’était à leurs yeux qu’un prétexte supplémentaire pour se saouler la gueule, mais tout de même, un homme a son orgueil ! De toutes façons. Il n’y a pas grand chose d’immuable dans la vie, sur quoi on puisse compter indéfectiblement ou dont on puisse à tout le moins affirmer l’inexorabilité. Il y a la mort, et il y a le temps. Tout le reste est sujet à changement, à renversement ou altération. Tout n’est qu’une gigantesque et imprévisible roue de fortune, large comme la voûte étoilée au chalet l’été. On gagne, on perd, certains plus que d’autres… Mais on peut toujours compter sur le temps. Tel le Fleuve, il coule, puissant et implacable. À la fois un allier, quand les choses vont mal, et un ennemi, quand les choses vont trop bien. Aussi indifférent à nos doléances, nos supplications que nos imprécations. Je choisis d’être optimiste et me rassure en me disant qu’il saura bien me ramener, au pis-aller. Je fumerais bien une cigarette, là moi, à philosopher comme ça... Hélas, c’est en France que crépitera la prochaine.

Ding dong. Bon ça y est :

- Les passagers dont les billets sont dans les rangées....

Elle bondit presque de son siège tellement elle semble contente de partir ! Elle est en première classe. Je suis en économique. Elle ramasse maladroitement ses affaires, soulève son sac et ajuste la courroie sur son épaule dénudée. Elle se détourne brièvement et j’ai droit à un coup d’oeil fugace. Je n’arrive pas à l’interpréter. Peut-être tout simplement parce que je l’observais au travers ma torpeur, avec des gestes trop lents ou une certaine immobilité frôlant l’impolitesse et qu’elle s’en est sentie agacée, voire indisposée. Un coup d’oeil insondable. Un coup d’oeil de femme, quoi ! Puis elle part avec sa valise roulante vers le quai avec les autres (cette fois elle fait la file), remet sa carte d’embarquement, puis disparaît dans la passerelle vitrée. Que cette fille est belle...

Anyway, c’est déjà mon tour. Tu voulais du changement et de l’inédit, mon gars ? Eh bien en voilà !


Soir d’Amérique

On entend les turbines, ça sile. Il doit y avoir de la puissance là-dedans ! Ça roule. Vite. Puis ça décolle, ce gros autobus, ce rorqual volant. Trente, quarante-cinq degrés ? En tous cas on ne tarde pas à caler dans notre siège comme dans un lazy-boy de cuir devant un film du samedi soir. Tu vois les poteaux rapetisser. T’as le vertige. Puis t’es déjà trop haut pour le ressentir. Le paysage perd sa troisième dimension. C’est Montréal au complet que tu embrasses d’un coup d’œil unique, le cou cassé comme une girafe ou un personnage de Modigliani pour atteindre le hublot en combattant les « G ». Le Mont-Royal, le chemin Olmstead, tout entortillé, l’oratoire, la double cheminée de l’incinérateur sur Des carrières, le Goldorak blanc du Stade. Tu roules, puis le centre ville, le Fleuve, les ponts, Longueuil et tu files vers l’autre rive de l’Océan, petit clignotement bicolore qui traversera en chuintant la nuit des terriens et des marins. Dans six heures, tu seras à l’endroit d’où tes ancêtres ont appareillé, quatre cent ans plus tôt. Dans six heures, tu te taperas un beau karma tout neuf !


Matin d’Europe

On était deux parmi tous les passagers dont les bagages furent égarés, et il a fallu que ce soit elle et moi… Nos passeports estampillés, on nous suggéra à tous deux d’aller remplir les formulaires de réclamation nécessaires. Isa, qui a voyagé d’avantage, m’avait conseillé de traîner le nécessaire dans un bagage à main; une sorte de baise-en-ville (brosse à dents, bobettes et tralala) valable pour quelques jours. Je ne me sentais pas trop pris au dépourvu. En remplissant les formulaires de réquisition, on me donna en plus un kit d’urgence comprenant les indispensables pour procéder à sa toilette et fonctionner quelques jours, caleçons en moins. Ça m’allait et je remerciai l’employée qui m’accueillait avec professionnalisme et gentillesse dans ma nouvelle vie française. Nonobstant la perte de mes affaires, les choses commençaient bien…

Quant à l’autre, je m’en foutais toujours et ne lui avais pas adressé la parole pendant qu’on nous guidait jusqu’au bureau des réclamations. Intimidé par sa beauté, il n’était pas question que je le démontre en plus, ce en tentant maladroitement de lui parler, ce qui à coup sûr se serait soldé par un échec, la cuisante démonstration de mon ineptie à distraire, dérider ou intéresser une fille de son allure. À coup sûr, les filles trop belles sont arrogantes et condescendantes. Je n’en sentais pas moins la beauté émaner de chacun de ses pas et ma gorge se nouait dans le sillage de son odeur. Comme sur un nœud de fil à pêche, je zigonnais dans mon démêlage intérieur afin de retrouver la droite ligne de mes émotions. J’observais les architectures impressionnantes de Charles de Gaule et l’immense ballet des avions qui, soit valsaient lentement, soit se reposaient autour de la piste de danse. Je m’imprégnais de mes premiers moments en France, observais ces gardes de sécurité de bleu vêtu et qui portaient la mitraillette en bandoulière, me laissais pénétrer par cette énergie qui bondit sur nous en posant le pied sur la terre Européenne, comme l’électricité dans l’air orageux, une effervescence d’alka seltzer qu’aurait absorbé un continent en proie à une indigestion d’homo sapiens. Ça grouillait de partout. Des hordes d’humains, malgré l’heure hâtive du matin à laquelle nous avions atterri. Et dire que je trouvais qu’il y avait foule à Dorval !

Elle ouvrait la marche, accompagnant l’employé qui nous guidait. Moi, je suivais de près à ses côtés, juste assez en retrait pour ne pas avoir à lui adresser la parole, les deux sentiers de nos vies se frôlant quelques instants puis s’écartant dans leurs directions respectives, vers leurs destinations respectives. Chacun sa classe, son siège, ses bagages, son voyage à Paris : sa vie. Chacun son karma. Parfait comme ça !

Elle est davantage contrariée que je ne le suis – peut-être l’effet des pilules qui ne s’est pas tout à fait dissipé dans mon cas et un excès de caféine dans son cas... Je lui offre donc de passer la première et m’assoie patiemment sur les sièges le long du couloir. On est peut-être sur la défensive ou devenu misogyne, mais on demeure bien élevé.

(Scène 4)

- Merci... qu’elle me dit doucement.

(À écourter ?...)

C’est la première fois que j’entends sa voix et il m’électrocute… mais je m’en fous carrément ! Elle entre dans le bureau, se retourne un instant avant de fermer la porte. J’ai encore droit au petit coup d’œil bizarroïde Je n’essaie même pas de tenter de peut-être espérer en cerner la signification. Trop à faire, à observer. Je me vautre littéralement d’observations, l’esprit aiguisé par toute cette nouveauté qui s’offre à mes sens. Je ne suis décidément plus en Amérique. La lumière d’une radieuse matinée s’infiltre par les grandes structures vitrées aux arrêtes métalliques qui évoquent rien de moins qu’une de ces cathédrales que j’aurai sous peu devant les yeux. Dire que je suis en Europe ! Incroyable. Je vais pouvoir me vautrer dans l’art et la culture, me noyer dans l’architecture, voyager, visiter toutes les capitales, connaître tous les peintres, fouler les pas des écrivains, poètes et musiciens célèbres, me recueillir sur leurs tombes ou mausolées…

Si j’avais mes bagages, je sortirais un cahier et prendrais des notes, histoire de cristalliser les impressions de mon arrivée. C’est un tic chez moi : noter. Des idées, des sentiments, des émotions, des pensées, des impressions ou sensations, des détails du quotidien ou rien du tout parfois. J’en ignore la raison et on m’a toujours reproché de perdre mon temps. Anyway. Le problème de noter ou non ne se présente pas réellement… Quoique ! je peux griffonner quelques phrases sur l’enveloppe de mon billet d’avion, que je fais pendant un moment. Heureusement, j’ai traîné ma caméra et j’en profite aussi pour prendre quelques photos, entre autres des agents bleus qui marchent lentement mitraillette à la main. Suite au flash, une des recrues revient vers moi et m’apostrophe :

- Vous n’avez pas le droit de prendre des photos de C.R.S. monsieur.

- Ah, pardon... Et c’est quoi un CRS ?

- Bien… C’est nous, quoi !

- Oups ! Désolé... je savais pas.

- Bon ça va... Vous êtes canadien ?

- Euh, oui, Québécois.

- Bon allez, ça passera pour cette fois. Bon séjour ! qu’il me dit en levant la main et se retournant pour rejoindre son groupe.

Je retourne m’asseoir. Ça brasse à l’intérieur du bureau. Le ton monte. La belle, on dirait qu’elle a son caractère, en autant qu’on considère que piquer une crise soit une preuve de tempérament. Exactement comme je le supposais. Pour ma part, je pense plutôt que se dominer en soit une démonstration plus patente (convaincante). Anyway, pas mon problème.

Je saisis sans le rechercher quelques bribes lors des accès :

- Je les veux !... J’en ai besoin !... Toutes mes affaires sont là-dedans... C’est quoi ce service-là ?!...

- On n’y peut rien, Madame. C’est comme ça. Encore une fois, nous sommes désolés des inconvénients que cela vous occasionne... Nous allons tout faire pour que cet incident (contretemps) ne ruine pas…

- Arrêtez de me servir votre baratin de service !... Vous me prenez pour une gourde ou quoi ?!...

L’obstination dure un temps, puis silence, le temps qu’elle signe les papiers sans doute. La porte s’ouvre sèchement, puis elle part en coup de vent en la claquant, toujours aussi belle sinon d’avantage à cause du pourpre qui farde ses joues. Cette fois-ci elle fonce devant elle sans poser l’œil sur moi. Je la regarde s’éloigner. Le bruit des pas s’amenuise à mesure qu’elle rapetisse dans le couloir, puis disparaît dans la nef. Plutôt fougueuse, comme fille, on dirait. Je dirais même chiante. J’ai une pensée compatissante pour son chum, puis retourne à la fin de la phrase que j’étais en train de griffonner.

On m’invite à mon tour à entrer dans le bureau afin de remplir les papiers. Comme je précisais, j’ai droit à un excellent service, la perte de mes bagages en moins… On me les acheminera à mon hôtel d’ici deux jours. C’est correct, ça me va.

(next tableau)

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