(Commentaires et questions de Coyote inquiet suite à la lecture du texte de John Berger, Voir le voir. Coll : textualité, Alain Moreau Éditeur - enfin, je pense !)
John Berger nous présente une intéressante analyse de la société capitaliste moderne, le tout à partir d’un fait aussi fondamental chez l’humain que l’acte de voir, ce qui n’apparaît pas évident à première… vue.
Le voir serait à la base même, précéderait en fait tout langage, toute construction cognitive, conceptuelle, d’expression et/ou de communication. Qu’il précède une construction de langage, de représentation graphique (peinture par exemple), ou même photographique, le voir, la vision factuelle (biologique) a tôt fait d’être transformée en un interprétation subjective, une reconstruction ou rappropriation subjective du réel : un voir le voir, comme le nomme Berger. L’image alors (picturale ou mécanique), comme tout langage, serait une exsudation subjective d’un réel « objectif » ou neutre, préalablement absorbé ou perçu par le communiquant.
Voilà pour les fondements de l’art qui, mystérieusement, conduisent avec une rapidité déconcertante tout droit à la peinture de la Renaissance… On peut comprendre à la suite de la lecture que M. Berger souhaite nous conduire vers la métamorphose de l’art occidental en publicité, ce leitmotiv omniprésent de nos sociétés capitalistes, qui est le nœud de son propos, mais une pareille réduction de l’histoire et de l’évolution de l’art ne tient plus du procédé admissible : c’est de la prestidigitation ! Des pans complets de l’art, même occidental (ex : icônes médiévales), ont représenté ou interprété différemment le réel et l’ont offert au spectateur autrement qu’en construction graphique conçue pour cet œil-centre du monde - qui caractérise peut-être l’art de la Renaissance et sa typique perspective.
À partir de la représentation picturale du monde de la Renaissance, on bascule dans la perception philosophique du monde de la société occidentale de l’époque, ce qui n’est pas abusif en soi. De là à reconnaître la valeur interprétative d’une société à une époque donnée, la nature de document historique d’une œuvre d’art, il n’y a qu’un pas. De par sa rareté même, l’œuvre d’art sous-entend ou véhicule nombre de valeurs et de principes sociaux. On pense d’une part à toutes les spécificités qualitatives associées à l’art : noblesse, rareté, supériorité, transcendance… Valeurs qui ne peuvent exister qu’avec leur pendant comparatif et qui toutes corroborent une pyramide hiérarchique, qui n’est autre que celle de la société d’époque (aristocratie, bourgeoisie) transposée. L’art aurait donc valu de preuve implicite, du moins d’élément servant à entretenir l’inégalité sociale et les privilèges de classe et serait toujours connoté pareillement dans le regard que nous portons sur le passé via lui : « l’histoire, c’est toujours un rapport entre un présent et son passé. (…) l’art du passé est mystifié car une minorité privilégiée s’efforce d’inventer une histoire qui puisse rétrospectivement justifier le rôle des classes dirigeantes, et une telle justification est insoutenable à notre époque. Ainsi, inévitablement, elle a recours à la mystification. ». On sent bien dans cette affirmation le partis pris de l’auteur, le ton gauchiste, voire marxiste, dont il colore son analyse et qui par moments agace beaucoup plus qu’il ne convainc.
En étudiant davantage le phénomène sous l’angle de sa temporalité, on cite Hals, sorte de Balzac de la peinture de la bourgeoisie naissante américaine, qui fixe un moment, une situation donnée – réelle, accomplie -, et lui accorde une pérennité en l’offrant à cet observateur-spectateur vers qui tout converge encore une fois. Avec les progrès techniques apparaît la photographie, la peinture mécanique, qui bouleverse complètement la position du spectateur en la relativisant. La perspective devient multiple, excentrique, momentanée. Le bouleversement se situe principalement dans le fait qu’on a relativisé l’importance du spectateur-observateur vers et pour qui toute la construction de l’œuvre artistique était orientée, construite. Le temps lui-même, autrefois immuable, de nature divine, devient fugitif chez les impressionnistes, simultané, fractionné chez les cubistes. Autre conséquence : l’appareil photographique diffuse l’art pictural, démocratise ce qui autrefois était l’apanage d’une élite. On le démocratise, donc on le relativise… On le marchandise plutôt. Son incontestable et incontestée supériorité de valeur ne s’exprimant plus tant au niveau qualitatif (entre autres parce que l’œuvre n’est plus unique ou a été banalisée par la libre circulation de son « image »), selon l’auteur, que sur le plan de sa valeur monétaire, la possession de l’objet initial étant la dernière réminiscence oligarchique vers laquelle on peut se rabattre avec nostalgie. Encore une fois, l’auteur met ici le doigt sur un paradoxe réel : la suprématie incontestée de l’art (historique), d’une part, et, d’autre part, sa banalisation par la diffusion de masse de son image. L’auteur conclut un peu rapidement à la conséquence de la marchandisation de l’art propre à notre époque et qui ne serait réservée qu’à la nouvelle aristocratie financière. Sûrement qu’il peut y avoir eu transfert de l’appréciation de l’œuvre, (dégradation ?), passant d’un plan qualitatif ou substantif vers des considérations plus mercantiles associées à l’objet magique artistique. Par ailleurs, qui pouvait s’offrir l’œuvre d’art à l’époque glorieuse de la création des chefs-d’œuvre de la Renaissance aujourd’hui tant convoités ? Seules les classes privilégiées, non ? Et en cela, qu’y a-t-il de différent ?
Il est curieux de remarquer qu’aux yeux de l’auteur, l’art n’endosse qu’une valeur d’assentiment, de confirmation d’un ordre social qu’il conteste visiblement : « … (objets culturels et/ou artistiques) … assignent presque toujours aux reproductions le rôle d’entretenir l’illusion que rien n’a changé, que l’art, avec son autorité unique et toujours intacte, justifie la plupart des autres formes d’autorité, que l’art rend nobles les inégalités et excitantes les hiérarchies. Par exemple, le concept d’« héritage culturel national » exploite l’autorité de l’art pour glorifier le système social actuel et son échelle de valeurs. », comme s’il était figé dans ses avatars historiques sur lesquels s’appuierait la pyramide sociale. Mais l’art n’est-il pas en constante mutation, assurément autant révolutionnaire et en dissonance avec son époque, parfois, qu’en sympathie ou harmonie avec elle ?... Il évolue, se modifie, se métamorphose en fonction de l’époque et de la société qui le génère. La questionne, y réagit, l’agresse, s’en défend. L’auteur passe tout à fait sous silence cet aspect. Lacune volontaire ?...
Bien sûr, il peut plus librement conclure, en accord avec la pensée de Walter Benjamin, à une désubstantialisation de l’art proportionnelle avec l’ampleur de sa diffusion : « Les moyens de reproduction modernes ont détruit l’autorité de l’art et l’ont extraite, ou plutôt… les images reproduites de tout périmètre privilégié. Pour la première fois, les reproductions sont devenues des images éphémères, omniprésentes, vidées de toute substance…, gratuites. (…) Elles ont pénétré le cœur même de la vie sur laquelle elles n’ont plus de pouvoir. »; et à son incidence sur le politique un peu plus loin : « Un peuple, ou une classe, coupés de leur passé, sont bien moins libres de choisir et d’agir en tant que peuple, ou classe, que d’autres qui ont eu la possibilité de se situer dans l’histoire. Voilà la raison, et la seule, pour laquelle tout l’art du passé s’est transformé, de nos jours, en problème politique. ».
Toute la construction précédente ne servirait qu’à en arriver au nœud de son propos : le miroir le plus représentatif de la société moderne ne serait plus l’art, mais la publicité : « La publicité est la culture de la société de consommation. ». À la fois saturée de référents historiques et auréolée de leur autorité; moteur de transformation individuelle de nos vies par le biais de la consommation; fondée sur nos appétits réels, nos pulsions naturelles ou notre aspiration historique au bonheur, mais n’en proposant qu’une illusion, qu’une satisfaction volatile avec pour principale assise le regard envieux de l’autre; qu’un rêve continuellement mutable, toujours renouvelable; qu’un liant collectif aussi artificiel qu’inefficace et une motivation productive imposée… L’auteur en signale les différents aspects et procédés et il serait difficile d’en contester le bien-fondé tout comme la justesse des observations sur le plan des motivations profondes autour desquelles on articule son discours. À la base, tout reposerait sur une angoisse essentielle : « la crainte de n’être rien parce qu’on ne possède rien. »
À la grande différence de la peinture à l’huile, qui célébrait aussi la propriété privée, la prospérité, mais dans un état d’accomplissement, de réalisation et tentait de la reproduire ou de la perpétrer dans le temps, la publicité consiste, elle, à vendre le passé à l’avenir : un bonheur évasif, hypothétique mais par contre basé sur des certitudes historiques, promis pour un moment prochain diffus et bien entendu conditionnel à l’acte consommateur.
Bien que le propos de l’auteur se tienne, nous fasse réfléchir et emporte peut-être même l’adhésion du lecteur, il est un point ou deux qui agacent foncièrement dans ce texte. Le langage, toujours chargé de connotations tentant de biaiser le regard du lecteur, sa perception ou son senti… Les propos suffisent à générer des prises de conscience ou la naissance d’émotions apparentées à ses réflexions. Est-il besoin d’employer autant d’agaçantes insinuations ou un pareil ton gau-gauchistes pour souligner ce que des termes plus neutres auraient tout autant révélé ou fait éprouver ? Il s’agit d’un manque de courtoisie envers le lecteur (ou d’une erreur de jeunesse...). Par ailleurs, les procédés de passage d’une étape à l’autre du discours sont parfois boiteux et le partis pris de l’auteur entrave son jugement, son analyse d’un manque d’objectivité flagrante.
vendredi, octobre 06, 2006
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Publié par
Coyote inquiet
à
3:12 p.m.
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5 commentaires:
« la crainte de n'être rien parce qu'on ne possède rien »... Plus je possède, moins je suis, et moins je suis, +++ je deviens.
Tu travailles bien Coyote, mais y'a encore des petites fautes.;-)
Mercfi LLK. Normal qu'il y est des fôetes... Je ne me re-lit qu'un fois, puis pasta !
Quoi? As-tu mal aux dents ?
Pouffquoi thu vis ffa ?
Je ne le sais pas plus que toi...
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