vendredi, janvier 07, 2005

web_story - part I

J’ai connu une drôle de fille...
La vie est un étrange rock’n roll
N’empêche, vous trouvez pas qu’on rushe (en arrache) des fois dans la vie ? Ok ! la vie est un spectacle incroyable, une improbable prestation dans le chaos cosmique, et c’est sans doute un privilège que d’en faire partie. On s’entend là-dessus. D’ailleurs on ressent tous un jour ou l’autre ces moments de joie à être, profonds et reconnaissants, cette jujubilation à exister. Quand on cesse d’être malade. Quand le premier souffle du printemps nous tousse dans les cheveux. Quand un enfant sourit sur les genoux d’un père Noël à temps partiel. Mais tant qu’à faire, ç’aurait pu être plus achevé je pense des fois, surtout au plan du scénario. Moins touffu. Intrigue plus serrée. D’avantage d’action et de grands sentiments. De cul, à la limite. En tant qu’acteurs, ce serait bien aussi que le réalisateur nous rappelle occasionnellement l’histoire, la trame… Ça nous aiderait à conserver un peu de conviction dans nos scènes. Pas pour être chiâleux, mais on aurait dû compléter le site avant de le mettre en ligne, je le sais pas, moi. Car il y a tous les autres moments… Aussi récurrents que les premiers si ce n’est davantage. Et ceux-là vous les connaissez tout autant, j’en suis sûr.
On dit que l’herbe est toujours plus verte chez le voisin. Juste aussi qu’on ne commande jamais le bon plat au resto alors que notre voisin de table en a eu, lui, la sagacité.
Au gré des hasards, des quelques opportunités qui s’étaient présentées, des choix posés, des efforts fournis ou feints, des erreurs répétées, j’étais malgré tout parvenu à un quotidien supportable. Sporadiquement du moins. Pas le grand bonheur, encore moins la fortune ou la gloire; mais la diète suffisante pour passer au travers l’existence sans mourir d’anémie ou d’inanition avant la tombée normale du rideau. Enfin, dans la mesure de nos possibilités à prévoir… Mais il y a des hypermétropes qui ne voient que de loin et j’en fais partie. J’en FAISAIS partie ! (Les vieux disent que ça prend une vie pour apprendre à vivre. S’ils avaient raison ?…) Assurément pas une sommité ou une vedette donc. Rien pour avoir la grosse tête du Plateau ! Encore moins un de ceux dont l’absence défigurerait le monde. Mais pas le dernier non plus, je pense pas. Tirais le diable par la queue comme plusieurs, mais mangeais à ma faim la plupart du temps, dormais au chaud trois saisons sur quatre, rigolais souvent, buvais parfois… pour ne pas dire régulièrement. M’arrivais même de baiser ! Ce n’était pas suffisant semble-t-il.
Un jour l’occasion se présente. On vous offre ce billet pour l’autre bout du monde. Un navire arraisonne (appareille) et déjà un franc Ouest gonfle ses blanches voiles. Faut faire vite ! Presque sauter du quai au pont, baluchon à l’épaule, la passerelle qui se cambre comme un plongeon sous nos pas. On a peu de temps pour réfléchir, peser le pour et le contre. D’un côté, il y a le connu. Tout ce qu’il a de réconfortant et d’exaspérant. La famille, les amitiés, une certaine forme de sécurité et de continuité. Ta mauvaise réputation aussi, dont tu ne cesses d’être l’artisan et la victime. De l’autre, une rupture, une multitude de futurs possibles, comme au sortir d’une peine. Échapper à la médiocrité, cette cage rouilleuse emprisonnant ta vie. L’aventure, la fortune, le succès rêvé. Nouveau départ. L’amour peut-être, qui sait ? Ô toi, plus irrésistible des chants de sirènes !…
Il existe des sauts quantiques dans notre existence. Des moments ou périodes que l’on traverse et après lesquels on n’est plus jamais exactement le même. On saute à un autre niveau, comme l’électron. (Deutérium) On devient un isotope de soi-même, comme une eau alourdie, densifiée. Et on ne revient pas en arrière. On devrait nommer de telles étapes. Quand on a la lubie des mots, comme moi, on le fait.
Cette période portera indubitablement le nom d’une femme : Sarah-Lyne.


La vie est un étrange rock’n roll – part II
Le premier mot qui me vient à l’esprit en pensant à eux… En fait il y en a trois, c’est : faux-jetons et puis cocorico !
On m’avait pourtant mis en garde qu’ils étaient comme ça; c’est connu à la surface du globe. Mais bon, toujours plus fin qu’un autre, moi; un peu comme eux autres ! De plus, paraît qu’ils avaient changés. En mieux. Qu’on leur rabattait les oreilles de publicité sur la nécessité de bien se comporter, d’user de civisme afin de pouvoir continuer à jouir des retombées du tourisme. (Ce pays-là exploserait comme un œuf sur le carrelage sans son pace-makeur touristique !) Bref qu’ils s’étaient améliorés suite à un méthodique endoctrinement médiatique. Qu’ils s’étaient humanisés, civilisés. Et en plus qu’ils nous aimaient particulièrement, nous, les " Kanadiens " ! Après tout, au nombre d’artistes qui font fortune chez-eux, devait y avoir un fond de vérité…
De toutes façons, et ce malgré toutes les mises en gardes des copains vis à vis mon projet, j’étais rendu là : à partir. Toujours plus loin. Quand on a fait le tour, faut aller ailleurs, non ? Y’a toujours quelque part des pieds qui rêvent de botter ton cul. Rien ici n’avait marché à la hauteur de mes espérances. C’est correct. Je suis pas le seul à qui c’est arrivé. De surcroît, rêveur incorrigible, j’ai toujours placé la barre plus haut que ne saute la réalité. Idéalisme ? Perfectionnisme ? Orgueil ?… Va savoir !
Le contrat m’était un peu tombé dessus par magie. Prédestiné ? pensai-je. Trouvé dans Internet sur un site d’emploi. Avais postulé le plus simplement du monde, sans lettre de présentation ni rien d’autre que mon c.v. en document attaché, troué d’inexplicables vides comme un panneau de route sur lequel le désœuvrement aurait déchargé son .12. J’avais pensé " aucune chance ", mon attitude habituelle. Ici, normalement, on exige de l’expérience dans un poste avant de considérer ta candidature, sinon de la compétence. Là, et pour la première fois, on n’en faisait pas même mention; ou on se fiait au potentiel, on traquait le possible. Enfin, un minimum d’expérience suffisait apparemment. Le premier barreau de l’échelle t’était offert par la maison. C’était étrange. J’ignore si c’est le léger décalage technologique qui subsistait entre les deux pays, mais en informatique, on t’attribuait une plus-value (dans mon cas, elle n’avait pas raison d’être) qui te rendait hautement monnayable . Mais bof ! J’étais dû pour un changement, anyway. On m’en offrait un sur un plateau d’argent, et un sérieux. Mon titre de technicien junior se mettait soudain à ronronner et le chaton, du jour au lendemain, se transforma en un matou dodu et ronflant d’ingénieur niveau intermédiaire… Bon, vraiment pas de quoi se péter les bretelles, mais dans la vie les changements vers le haut sont rares et toujours euphorisants (surprenants saisissants).
Vous trouvez pas que vous y allez un peu fort ? Faut quand même que je livre la marchandise ! avais-je objecté.
Non non, pas du tout, ça s’inclue dans le cadre normal de la nomenclature française en fonction des prestations qui te seront attribuées dans le contexte des missions conférées et dont tu t’acquitteras selon les modalités usuelles et déterminées par l’entreprise lorsque placé en clientèle…
Hèye, wo, de quoi on parle ? On parle-tu encore d’une job ? Eh bien non, justement. On parlait d’un emploi. Nuance. J’étais juste un peu perplexe devant une terminologie inouïe.
- Tu n’as qu’à signer ici…
Contrat d’un an. Bon salaire. Et un statut de cadre détaché qui te soustrayait des griffes de l’impôt. L’employeur te payait ton billet d’avion et deux semaines de chambre d’hôtel à l’arrivée, le temps que tu retombes sur tes pieds, te remettes du décalage et procèdes à ta recherche d’appartement. Le diable a parfois une belle voix...


Six heures d’avance sur son karma
La vie ce n’est pas comme dans un bouquin (roman). Il est rare que tu saches avec certitude quand tu sors d’un chapitre et entres dans le suivant. En général, on ne sait jamais exactement quand une période finit et quand une autre commence. C’est flou. C’est un peu comme pour la météo, les saisons. OK on fixe des dates, précises et incontestables, avec des preuves scientifiques. Des solstices ou des équinoxes les vingt-et-un vingt-deux à telle heure tapante. La raison à sept ans, l’adolescence à douze ou quatorze, la maturité à dix-huit, la retraite à soixante. On a beau baliser le temps et nos vies avec un soucis maniaque, reste que l’un comme l’autre échappent fondamentalement à notre contrôle et se foutent éperdument de nos conventions. Des courants marins colossaux se jouent de nous sous cette turquoise rassurante. C’est plutôt une suite d’épisodes épars, sans connexions apparentes, des phrases pilées comme des patates. Et ce n’est souvent qu’après coup, avec le recul, que s’estompent les (aplats) spatules de couleur et qu’apparaît le tableau, que tu découvres les fils qui unissaient les événements et ceux qui te " mouvaient " aussi strictement que les cordelettes d’une marionnette de bois. On est de drôles de marionnettes. Des marionnettes pensantes, des marionnettes aimantes. Mais des marionnettes quand même. Des marionnettes du destin. Comme si d’étranges forces se disputaient le contrôle de nos gestes et la direction de nos petits pas percutants. À droite à gauche, en avant en arrière… C’est peut-être pour ça qu’on a parfois l’air si cons et éternellement néophytes dans l’art de vivre. Comme je faisais remarquer : les vieux disent que ça prend une vie pour apprendre à vivre…
Mais cette fois-ci, ce n’était pas du tout le cas. La coupure était on ne peut plus évidente. C’est ce que me faisait remarquer Bob (Robert), mon pote Innu de Betsiamites dont la silhouette s’apparente à celle d’un frigo, lors de notre dernier sweat au cours duquel je lui avais fait part de mes intentions.
C’est comme si tu rebâtissais une nouvelle cabanne pour vivre. Pourquoi t’es pas content de ton campe pis tu veux toute le détruire ? me lança-t-il gravement (posément) avec son accent chuintant et nasillard, tout en me passant la tresse de sauge boucanante afin qu’à mon tour je purifie mon esprit (âme).
J’essuyai une coulisse de sueur qui me piquait l’œil. Ou encore c’était toute cette fumée…
Insatisfaction, disons. J’ai trouvé l’hiver crissement long pis j’ai pas l’intention d’en passer ben d’autres comme ça.
Pourquoi t’en a pas profité pour écrire ?
J’écris plus, Bob, tu le sais. Ça sert à rien. Tout a été dit et puis rien va jamais changer.
Tu sais, la vie, c’est comme un cercle. C’est ça que vous comprenez pas, vous autres, les blancs… Il faut probablement que tu partes pour mieux revenir, que tu te perdes pour mieux retrouver ton chemin (te retrouver – t’ailles te perdre dans la forêt pour apprendre à retrouver ton chemin).
Balivernes (superstitions) d’Indien, j’ai pensé. Après on a plongé dans la Papinachois glacée, puis on est allé pêcher quelques truites qu’il a fait griller sur la braise le soir avant que je reparte pour Montréal.
D’autres, comme Sandra, prétendent que c’est une question d’horoscope, l’influence des planètes qui guide les événements, nos gestes et décisions. Pluton, Jupiter, Uranus ou Saturne qui décident du genre de journée ou d’année que tu vas passer. D’autres encore, comme Denis, disent que c’est une question de karma, sommation laborieuse de toutes tes actions, même de celles dont tu ne te souviens pas et qui ont eu cours dans des vies dont tu ne te souviens non plus mais dont tu es redevable. Par une mécanique astrale infaillible, des créanciers spirituels, huissiers ou banquiers de l’Être te comptabilisent scrupuleusement tes dettes ou profits. Infaillible administration. Et tu acquittes ou encaisses indéfectiblement. Si t’as été gentil, ok ! tu ramasses les jack-pot, touches les gros lots et fourres du bonheur et de l’amour plein les poches de tes jours. Les projets que t’élabores se réalisent toujours selon tes plans, au moment où tu le souhaitais. Ça roule et ça coule et parfois même ça roucoule. Si t’as pas été gentil, c’est un peu le contraire… Je ferais plutôt partie de la seconde catégorie, malheureusement. En cela je rejoins Patrice pour qui la vie, c’est ce qui arrive quand on avait prévu autre chose. Souvent du moins. Et vous dans tout ça ?
Sauf que cette fois-ci je pensais avoir découvert un truc. LE truc. En signant leur foutu papier, je partais vivre ailleurs. Autre continent. Comme Christophe, mais à l’envers. Jack Monoloy sur la terre où il n’y a plus de bouleaux. Les relations d’un Jésuite en terres viticoles. En plus, je prenais une avance de six heures. Confortable. Théoriquement, je devançais donc mon foutu karma, réglé pour une vie en terre américaine en longitude (X’FY…). C’était si simple ! Comment n’y avais-je pas y pensé plus tôt ? Vous n’avez jamais remarqué qu’à chaque fois que vous voyagez, les choses se cirent (polissent) du lustre de l’enfance ? Les couleurs renaissent. Le temps se dilate. Le bonheur de découvrir réinvestit chaque seconde. La vie redevient un spectacle magnifique et puissant et vous n’avez de cesse de le boire goulûment. Chaque seconde est un printemps. Les aventures se multiplient. L’intensité accompagne l’émerveillement. La routine n’existe plus. Vous rencontrez constamment des gens de l’autre bout du monde, puisque c’est là que vous êtes. Tous plus passionnants les uns que les autres. Votre accent devient aussi charmeur que celui d’un Dom Juan, même lorsque vous bafouillez. Vous faites parfois de belles rencontres… Pourquoi tout ça ? Tout simplement parce que vous avez laissé votre karma derrière, à la maison.
En gagnant six heures d’avance sur lui, je pouvais recommencer à zéro Suffisait maintenant de bien me comporter, d’accumuler les points boni, d’aider les vieilles dames à traverser la rue, de ne plus reluquer les plus jeunes, de travailler consciencieusement, avec professionnalisme, de laver mes édredons et amidonner mes émotions et de boire raisonnablement. Simple. Si je suivais ma nouvelle ligne de conduite avec persévérance, au bout d’un temps, les bénéfices se pointeraient le nez. Inévitablement. Je commencerais enfin à nager vers la rive lointaine de l’accomplissement plutôt que de perpétuellement barboter avec labeur en n’inspirant que de rares bouffées entre deux immersions forcées alors que le diable, ce goon du water-polo, te retient la tête sous l’eau avec une joie sadique.
Le temps que mon karma traverse l’Atlantique à la brasse et me rejoigne, je savourerais pour la première fois depuis longtemps un quotidien d’homme moderne responsable (mature adapté). Des projets passionnants et créatifs, mes talents mis à contribution de la collectivité, de l’apprentissage en formation continue, du métro ou du trafic, de la bonne bouffe, des vêtements neufs, des fins de semaine à la plage ou à la montagne, une voiture, des spectacles, des happenings sociaux avec des connaissances équilibrées et adaptées et qui finiraient autrement qu’en nos sempiternelles noyades dans les fonds de pichets. Et si j’étais chanceux, vraiment chanceux ! peut-être même le cœur d’une belle Européenne... (que j’exhiberais un jour parmi mes vieux souvenirs comme le plus beaux des trophées de chasse.)
J’ai donc signé le contrat.

Rencontre du troisième type
(ou
Bulle, envole-toi dans les airs…)
La première fois que j’ai vu Sarah-Lyne, ce fut juste avant le vol...
Faut préciser que j’ai peur de l’avion. Peur bleue. Ironique pour un gars qui voulait être pilote, et qui, enfant, rêvait de devenir astronaute. Pourtant, quoi de plus magnifique que la vie à 35 mille pieds !? Les nuages s’amoncellent en de purs amas cotonneux dont le blanc se casse en mille variations subtiles. Un soleil, éblouissant toujours, sauf durant les vols de nuit, percute les cristaux (duvet ) de glace du hublot et confère à ses diamants une iridescence qu’aucunes pierreries n’approche sur le plancher des vaches. Yôôôô, ma vitre est un jardin de givre... Vous volez comme les anges, rapide comme le son, bien calfeutré (calé) dans un fauteuil de feutre avec la nuque accotée sur un appui-tête de parfaits dimension et angle. Une musique de votre choix accompagne l’errance de vos pensées. Des dames d’une gentillesse exquise, ou des hommes d’une politesse remarquable, s’informent de votre bien-être avec délicatesse et déférence, vous prodiguent des désaltérants. Un repas chaud vous arrive au bon moment sur une tablette amovible avec un demi-litre de votre choix. Les toilettes ne sont jamais bien loin et encore moins payantes. Vous découvrez sur un écran avec fascination l’emplacement de l’avion sur une carte du monde, qui, soudain, vous apparaît bien limité. Territoire Terre. Petite boule bleue qu’on encercle en moins de 30-40 heures, le temps de conduire jusqu’au Lac Supérieur ou en Floride environ. Si vous vous emmerdez, vous changez de canal du bout de l’index et écoutez un film, pas mauvais la plupart du temps. La nuit, vous sortez du désert et apercevez Las Vegas, puis vous approchez de Los Angeles. Un collier de lumières s’étend à la surface de l’obscurité. Merveilleuses architectures issues du génie humain. Des droites pointillées s’entrecroisent, se suivent ou se fondent dans une galaxie urbaine qui défie l’encre noire, sans lune pour la délayer. Puis vous suivez une nuit interminable si vous partez vers l’Ouest, vous traversez des tropiques et un équateur, une ligne de date et vous écarquillez vos yeux comme ceux d’un koala pour apercevoir le soleil qui se lève et danse comme un kangourou sur Sydney, un pont en forme de cintre ainsi qu’un Opéra blanc à plusieurs spinnakers en éternel vent arrière. Si vous partez vers l’Est, vous frôlez le pôle et vous vous moquez du Groenland et de sa glace fissurée, de ses côtes rugueuses et de ses Icebergs mercenaires, à la solde des fonds marins. Il ne fait pas vraiment nuit cette fois. Vous venez de dépasser des orages à Terre-Neuve. Les éclairs vous flashent de loin; à peine signifient-ils leur présence à votre vol indifférent (hautain), comme des journalistes visant le pied d’estale (podium) des stars de cinémas. Une lueur persiste à l’horizon, là-bas vers le septentrion (l’été du moins). C’est presque l’aube crépusculaire du Yukon dans la période environnant la St-Jean Baptiste, obstinée, décidée à ne rien céder à la nuit d’hiver, arrogante de ses succès printaniers. C’est déjà le matin. On vous offre un jus d’orange à 2h00 du matin alors que vous somnolez à peine. Le disque jaune réapparaît, dédoublé par l’Océan immense, interminable. Un gros huit de lumière, comme deux balles de pool qui s’apprêtent à se séparer sous le choc de la lumière blanche, chacune leur chemin. Il fait moins cinquante à l’extérieur de la coque, mais vous n’en avez cure. Vous êtes confortables, si bien. Même que les pieds vous suent. Mais vous avez retiré vos chaussures et êtes douillettement emmaillotés dans la couverte qu’on vous a gracieusement offerte avant même que vous en ayez formulé le désir précis. Connaissent leur job ! Puis, une terre avance, réconfortante, turlutante, aussi verte que celtique : c’est l’Irlande ! Ô verte et gaélique île… Puis l’Angleterre accompagne votre café. Roger over Dover ! La Tamise sinue et s’insinue sur cette terre angulaire, contorsion d’un crotale couleur de ciel laiteux. Puis voilà la Manche. Droite et sablonneuse. Vous regardez l’heure et êtes presque arrivés. La descente commence. Déjà le continent ! C’est la France ! La France ! La Haute Normandie ou le Pas de Calais ! L’angle droit de la Bretagne avec le point têtu du Mont Saint-Michel là-bas au loin ?... Un voile de brume émane de l’océan et la recouvre en partie, comme la douillette d’un matin paresseux, poussé par le lointain souffle (rêve lointain) de l’Amérique. On voit les terres dessous sporadiquement. Terres géométriques. Morcelées par la propriété, cadastrées de démarcations arbustives. Terre dorées aux bordures vertes. Blé ? Avoine ? Foin ?… La Seine. Le Havre. Rouen. Les oreilles vous bourdonnent un peu. Est-ce le son de la cloche qui vous a signalé d’attacher votre ceinture ? Non, trop doux. Presque une mélopée, carillon rassurant. C’est la différence de pression. Là on descend. Les oreilles te sillent en sacrément ! Font presque mal. Plus le choix : tu déglutis ou compenses comme en plongée. Pfoui ! On arrive. On commence à voir les routes, les autos et camions qui circulent sur ces filaments de modernité, chacun mû par sa tâche ou son loisir. Un dernier cercle autour de la balise de Paris. Positionnement dans l’axe de la piste, face au vent toujours… Peut-être l’esprit (âme coeur) humain est-il comme l’oiseau ou l’avion et s’envole-t-il mieux avec un vent de face ?… Qui sait ? Au loin, vous apercevez le nuage gris de Paris… Est-ce la Tour Montparnasse qui dépasse ? et où est la tour Eiffel ? Puis l’autoroute. Charles De Gaule. Les camions grossissent à vue d’œil. Ce sont tous des flat-nose. Bizarre. Des mercedez, Peugeot, Fiat ou autres marques européennes. Les poteaux s’allongent. Ils ne sont pas en bois comme chez nous. Sont en ciment on dirait. Les hangards, immenses. Il fait beau. Soleil radieux maintenant. C’est le début d’une nouvelle vie. Ce sera cette fois la bonne !
Pourquoi j’ai peur de l’avion ? Parce que, aussi gentils que soient les agents et agentes de bords, aussi professionnels et attentionnés fussent-ils, je reste persuadé qu’aucun d’eux ne pousserait l’amabilité jusqu’à m’ouvrir la porte en plein milieu de vol si je leur demandais. Et ça, même le plus poliment du monde. Je suis convaincu que sur ce point, sont têtus comme des mules ! Buckés même. Le pilote ou le co-pilote doivent pas être beaucoup plus conciliants sur ce point, j’en suis persuadé ! Un genre de conspiration pour faire chier. Et j’ai HORREUR de ne pas pouvoir sortir d’un endroit ou d’une situation. La fuite toujours doit être accessible, à porter de pied. Retraite à l’anglaise ! Partir en sauvage quand ça fait plus mon affaire. Tactique guerrière (de survie) du lièvre ou du chevreuil. En auto ou autobus, les chauffeurs sont compréhensifs et avenants. Tu leur demandes ? Ils stoppent. À la limite, ils bougonnent un peu, mais bon ! Tu peux toujours descendre. Tu dis que t’es malade. À la limite, tu sautes par la fenêtre ! Si tes os ne sont pas tous rompus, tu peux te traîner; plus chanceux, tu marches ! 20 mille kilomètres et t’es revenu de la Terre de Feu. Home, sweet home ! OK c’est long, mais faisable, envisageable, possible au moins. En bateau, tu demandes gentiment au Capitaine de stopper les turbines, et il va te rire au visage. Pas grave ! Toi, rusé comme un renard, indépendant comme un chat, même si t’as été échaudé et n’aimes pas l’eau froide, t’enfiles ta combinaison, attaches ta veste (ceinture), empoigne le gros Cherrios de la bouée en plongeant dans l’eau glaciale, patauges un peu en regardant le bateau sombrer... ou continuer sans toi. C’est la vie. Mourir probablement. Mais ! Encore une fois, possible… Je dis bien : POSSIBLE de s’en sortir. Hasard improbable, perspective illusoire, certes. Mais possible. Incontestablement possible. T’agripper à un radeau médusé qui passe par là. Grimper sans glisser sur un Iceberg en partance du Labrador ou de Kujuak pour St-Johns ou Reijavik. Possible. Seulement possible. Comme le grand amour. Improbable, mais possible. Mais en avion !… Comme je vous expliquais, ils sont têtus comme des lamas (dromadaire) et refusent obstinément d’ouvrir la putain de porte. On doit même leur enseigner à l’école ou durant leur formation, c’est pour dire ! Le client roi, on repassera ! De toutes façons, il y a un autre hic, un bogue supplémentaire : c’est que, même si, exceptionnellement, par un favoritisme éhonté (inavouable), on accédait à ma demande, eh bien… je vole très mal. Pitoyablement (Lamentablement). Et malgré l’élan initial, considérable pourtant, je ne suis pas certain du tout que j’atteindrais la rive de l’autre continent même en battant des bras de toutes mes forces.
Donc, pour remédier à cette peur panique, ces sueurs froides et ces palpitations claustrophobiques, avant de m’engouffrer dans le corridor qui conduit à l’appareil, je me bourre de pilules. Des calmants, sédatifs, anxiolytiques ou ouattêveur. Des petites roses et parfois une demi moyenne, rose aussi mais plus foncée celle-là. Ça cogne. Solide. Je rentre toujours dans l’appareil les genoux mous comme du rutabaga trop bouilli ou de la purée de panait. C’est donc sous cet effet neutralisant (assommant) d’engourdissement, (abasourdissant), les doigts engourdis au point d’échapper sur moi mon bloody césar que j’ai vu Sarah-Lyne pour la première fois… Enfin presque.

Voilà ! Je suis donc à l’aéroport de Dorval. Perdu comme un chien sans son maître. Deux immenses sacs en précaire équilibre sur un panier métallique semblable à ceux avec lesquels on fait notre épicerie. C’est une journée magnifique de juin. Il fait 33 degrés sans l’humidex. On a des étés tropicaux depuis quelques années. Réchauffement de la planète ? Je me sens plus anxieux encore qu’avant d’aller chez le dentiste. Presque paniqué. Pourquoi ai-je signé ce foutu contrat ? Au moins, ici, je connaissais ma vie ! Maintenant je m’apprête à embrasser l’inconnu. Une fois de plus. Comme un mariage par correspondance sans avoir vu la photo de la belle Philippine, une baise torride et sans condom à Bangkok. Je suis arrivé quatre heures à l’avance. Je ne peux me permettre d’être en retard; les avions n’attendent pas les lunatiques. Ce matin, pour me libérer d’une partie du stress qui m’accable, je me suis tapé une bonne heure de jogging. À 40 degrés, c’est chaud. On transpire légèrement. Je luisais comme un cinq sous de l’année. Ça m’a calmé un peu. J’ai clanché (siphonné) plusieurs verres d’eau après. L’aéroport grouille de monde. C’est le temps des vacances. Plusieurs étudiants partent pour l’été, d’autres pour moins longtemps. D’autres, comme moi, pour plus longtemps. Les éternels hommes d’affaires (stéréotypés) commencent à revenir de Toronto, New York ou Syracuse. On voudrait parfois que le temps s’arrête, mais c’est toujours à ces moments qu’il déboule ! Inexorablement, l’heure avance et le moment fatidique approche, silencieux et fluide comme une couleuvre. Je me sens comme une perruche dans une cage qu’étudie le Persan. Aux haut-parleurs, une voix charmante appelle les retardataires et précise les numéros de vol, en français puis en anglais. On dirait un bingo monstre. Ticket pour un ailleurs avec possibilité accrue de participer au sweepstake de la mort. Non, faut pas penser comme ça. Les avions ne tombent pas souvent. C’est plus sécuritaire que l’auto. Et Dieu sait que j’ai roulé sans qu’il ne me soit jamais rien arrivé; même saoul. Je suis chanceux au fond. Croisons les doigts, juste au cas, et touchons du bois. Puisqu’il n’y en a pas à portée, je me cogne sur le crâne...
Qu’est-ce que tu fais là ?
Ah, rien...
C’est ma sœur : elle est venu me conduire à l’aéroport. C’est à ça que ça sert parfois la famille : nous aider à débarrasser le plancher. Non, c’est injuste. Elle m’a donné un lift pour me rendre service, généreux de sa part. En gros, elle est gentille. Quand elle me faisait trop chier plus jeune, je l'appelais Isafiel. Les grandes sœurs peuvent parfois être féroces. Elle est avec mon neveu de trois ans. Il joue avec les chariots d’aluminium, les pousse comme des gros camions. Chanceux. J’aimerais bien jouer à quelque chose quelque part moi aussi plutôt que d’être ici à affronter la réalité, les conséquences de cette foutue signature, et ce devoir imposé de faire quelque chose de ma vie ! Pourquoi on ne peut pas jouer tout le temps comme les enfants ? À quel âge cesse le jeu et doit-on feindre d’aimer accomplir ce qu’on nous propose ou oblige à faire ? Ça doit être au moment où on accepte de survivre, quitte à moins ou ne plus vivre.
Anyway, il ne faut pas penser comme ça. Mon choix est fait. J’ai signé. Je pars. Et c’est peut-être le début d’une nouvelle vie, donc c’est dans l’enthousiasme que je dois l’entreprendre. J’aurai enfin la chance de faire quelque chose de bon comme Isa, entamer une carrière sérieuse, poursuivre et atteindre des objectifs valables comme elle. Être utile aux autres. Fonder une famille. Pour une fois, les parents ne seraient pas que fiers d’elle ! L’ennui, c’est son mari; mon beau-frère, quoi ! Je ne suis pas capable de sentir les avocats. Surtout lorsqu’ils n’éprouvent à ton égard qu’une condescendance à peine camouflée et qui se manifeste invariablement à un moment donné ou un autre lors des réunions de famille sous la forme d’hilarants sarcasmes. Un des nombreux plaisirs d’être l’artiste raté de la famille. Mais les choses vont changer ! Bientôt je serai aussi prospère et respecté que toi, mon gars ! Et peut-être aussi sûr de moi que lui l’est.
La ligne d’attente commence à se former et Isabelle me propose d’aller la joindre et de m’y insérer pour checker in un jour. J’espère obtenir un siège près du hublot. Je laisse mon neveu pousser le porte-bagages, mais je dois l’aider parce que c’est trop lourd. On rit plus, hein ? Même jouer exige un effort quelquefois. Faut dire que des bagages pour un an, c’est pas une plume ! Deux grosse poches de hockey pleines à s’en éventrer ! J’atteins le maximum du poids permis. Tout juste 64 kilos de paperasse, vêtements d’été, d’hiver et d’entre saisons. Cafetière expresso italienne – nécessaire - et de vrais mocassins Innus en peau de caribou que m’a donné Bob, pour entretenir le mythe de ma cabane au Canada. On achètera le reste là-bas, avec le vin et les fromages ! J’espère juste que ma balance était bien calibrée.
On fait la grue sur un pied puis sur l’autre depuis un bon moment déjà ma sœur et moi en tentant de distraire et d’amuser le petit qui commence à s’impatienter quand je la vois pour la première fois.
Je ne me souviens pas avoir ressenti quoique ce soit d’extraordinaire en l’apercevant tourner le coin et pousser malhabilement son carrosse, apparemment trop pesant pour sa frêle constitution. Toutefois je notai l’énergie avec laquelle elle se débattait dans son entreprise. Juste une belle fille de plus... ne me donnai-je même pas la peine de penser. Montréal éclôt des plus belles filles du monde à l’année longue. L’été, c’est pire encore. C’en est presque douloureux. Tout juste avant de la voir virer le coin avec à la fois hâte et grâce, je soliloquais intérieurement sur le nombre incroyable de femmes aux allures de mannequins qu’on croise dans les aéroports; à Dorval plus qu’ailleurs. À s’en demander si les belles femmes éprouvent davantage le goût, l’urgence du voyage que le reste de la population. Peut-être qu’elles ont juste davantage les moyens de le faire ?... Les billets d’avion, c’est un peu comme elles : c’est bien beau, mais c’est rarement gratis !
C’est donc une femme plutôt pressée – inutilement d’ailleurs – qui interpella mon regard distrait à notre première rencontre. Belle certes, élégante assurément, avec de surcroît une touche d’originalité dans sa vestimentation, son allure générale, ce petit look légèrement excentrique qu’on croise à Montréal. N’empêche, ce segment de rush serait disparu depuis longtemps de ma mémoire n’eût été du fait que ce même bout de pellicule deviendrait l’ouverture d’un film dans lequel nous étions destinés à jouer elle et moi. Au nombre de belles filles qu’on peut croiser en une seule journée ici l’été, faut pas s’étonner qu’elles s’amalgament en un tout protéiforme au bout d’un temps auquel ne cesse d’ajouter chaque journée de supplémentaires cellules, méiose de beauté dont notre oeil intérieur n’arrive plus à retracer toutes les généalogies et arborescences (cellules multiplications) qui s’y bousculent. C’est inévitable. Pourtant cette fille-là, et sans raison identifiable, je n’aurais ni le temps ni la félicité de l’oublier…
Mon oeil devait être resté accroché plus que de coutume car ma soeur me donna un léger coup de coude :
Franchement, Yves !...
Non, non... j’étais juste dans la lune, me défendis-je.
Qu’est-ce que tu lui trouves de si spécial ?... Ouais, c’est vrai qu’elle est belle... Elle a un genre.
Bof ! J’ai déjà vu mieux... Rien que la fille au guichet pour l’autre compagnie là-bas, regarde comme elle est ...
Puis j’eus l’impression croissante et étrange qu’on me soufflait ce que je disais, ou d’avoir déjà entendu les mots alors qu’ils sortaient à peine de ma bouche.
Hein !... C’est bizarre : j’ai déjà rêvé à ce moment-là, poursuivis-je. Comment on appelle ça ? Du déjà-vu, hein, c’est ça ?
Tout à fait. Mais ça, c’est juste parce que t’as trop pris de drogue ado pis que tu te saoules encore comme un cégépien. Le pont entre tes deux hémisphères cérébraux est aussi rempli de nids de poule que les rues de l’est de la ville, ça fait que des fois il y a comme un petit décalage... Pis dans ton cas, il doit être plus significatif !
Sacrée sœur, toujours aussi pragmatique - et cynique ! Pas elle qui a inventé l’horoscope, je vous jure ! Non, comme je vous disais, le rêveur empoté et improductif de la famille, c’est plutôt moi, Yves Vadeboncoeur, benjamin surprotégé qui n’est même pas parvenu à devenir gai. Mais là, les choses vont changer ! Côté ouvrage je veux dire.
Cette fille, dont je ne connaissais pas le nom et que je n’avais nulle envie de connaître, avança donc d’un pas plutôt affairé vers le stand d’Air France où nous patientons ma sœur, son fiston Hans-Ulrik et moi. Elle portait une robe légère appropriée aux journées de sauna qui nous suffoquaient depuis quelques jours, robe d’été qui dévoilait des formes plus qu’agréables à contempler. Son visage était magnifique me sembla-t-il, mais je ne m’attardai ni sur lui, ni sur le reste d’ailleurs, me sachant observé par ma sœur et ne souhaitant pas encaisser ses railleries, déjà bien assez nerveux à l’idée de prendre sous peu l’avion. C’est d’ailleurs cette perspective qui rendait mes mains moites, presque gluantes et que je devais sans cesse essuyer sur les cuisses de mes pantalons, beaucoup plus que la chaleur de cette fin d’après-midi ou le passage d’une belle étrangère à mes côtés. À ce sujet, commençait à être temps que je refile mes bagages, obtienne ma carte d’embarquement, paye ma taxe d’aéroport et gobe mes petites pillules (zombie) magiques... Quoique, on a encore le temps. Je les prendrai une heure et demie avant le décollage. Je serai alors en plein high lorsqu’ils verrouilleront le sas (l’habitacle). Low plutôt.
Tout de même, je me souviens d’un détail; de deux détails d’elle. Son teint était anormalement pâlot pour une journée de solstice, en comparaison surtout avec celui de la majorité des gens qui circulent ici. Elle avait des lèvres épaisses, pulpeuses (entre gars, saouls dans les bars, on appelle ça rêveusement une gueule de suceuse) et deux billes foncées, plus brunes que du végémite ou du nutella, luisantes par contre, scintillantes comme du métal poli ou du verre, sous les larges parapluies de ses sourcils et que recouvraient à moitié ses paupières, lui conférant un certain glam (aura) d’inaccessibilité que les femmes apprécient bien semble-t-il, sans doute parce qu’il les protège des importuns ou qu’elles l’associent tout simplement à l’élégance des mannequins de mode. Je sais pas. Anyway. Se sentant observée peut-être, elle dérogea une fraction de seconde de son attitude et ses yeux croisèrent les miens un infinitésimal instant avant de fuir vers son destin, tracé droit devant elle, du moins en donnait-elle la ferme impression.
Ça m’amène à un autre point : elle n’était pas supposée passer ainsi à nos côtés, derrière les (bollars ???? poteaux et du cordon de feutre) et croiser mon regard... Théoriquement, c'est à l'extrémité de la file qu'elle aurait dû s'arrêter, loin derrière nous. En suivant sa course, je me dis qu’elle s’achemine tout simplement vers une autre destination via le comptoir d’une autre compagnie et que je ne la reverrai assurément plus jamais et c’est tant mieux ! Bon débarras ! Il y a trop de belles femmes pour torturer le cœur des gars tout seuls. Vraiment, bon débarras ! C’est ça qui est chiant avec ces belles filles-là : on dirait qu’elles voltigent comme des hirondelles au-dessus de la condition humaine. Tant mieux pour elles ! Anyway, pas mon problème, j'en ai rien à foutre.
N’empêche, elle tourne vers le comptoir avec son pousse-pousse et va s’ancrer au tout début de la file en attendant qu’une employée se libère. Elle étale d’abord un sourire ravageur au monsieur à qui c’était le tour et lui explique les raisons de l’exceptionnelle urgence de sa situation. C’est évident que l’ensemble de son discours est sorti par l’autre oreille du bonhomme au même moment. J’ai presque vu les phrases tomber par terre. Avec un sourire comme ça !... Quel poisson ce type.
Un agent se libère. Le type lui cède le passage avec un smile fendu jusqu’à sa calvitie, auquel elle répond avant de se retourner brusquement et de procéder, efficace tout de même. Elle argumente avec l’agent : ça fonctionne tout autant. Finalement, elle a peut-être une excellente raison, qui sait ?
Ouais, elle est fantasse ! observe Isa alors que déjà ses bagages sont soupesés et partent vers l’entrepôt ou la soute de l’airbus avec leur tag autocollant sur lequel les lettres CDG ressortent, puis elle s’évanouit dans la foule du pas alerte des gens qui sont toujours en retard à un rendez-vous, le maintien mondain mais avec une courte robe d’été qui l’affuble vaguement d’un air bohème. J’aurais déjà dû déceler (déduire entrevoir) le paradoxe à son allure seule.
Je m’en fous : j’ai bien assez de mon angoisse qui croît à mesure que l'heure passe. Un équipage passe, affairé, fendant la foule et traînant leurs bagages comme des caniches tranquilles et bien dressés. Le commandant grisonnant, avec ses gallons et sa casquettes, le copilote, un jeune noir, cheveux cours aussi, et une hôtesse, ses cheveux châtains remontés en chignon et un béret coquettement incliné, retenu par des bobépines. Tous en bleu marine. Je suis reconnaissant qu’il existe des personnes plus straights que d’autres et que ça soit eux finalement qui pilotent les avions plutôt que mes chums ou moi.

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