Je vous ai parlé de Rex, le Berger allemand enchaîné au garage ? Un molosse. Et un dépravé, un maniaque. Une bête ! J’ai de la misère à aller lui sploucher sa pâtée dans une grosse écuelle d’aluminium sans qu’il me crisse à terre et commence à me zigner… Je m’en sors à chaque fois par la peau des fesses ! Je dois être bonne pâte pour avoir décidé de le garder vivant (malgré mon budget serré) et de l’avoir adopté après qu’il se soit fait frappé et ait aboutit devant ma porte en silant, une hanche amochée. Je me disais : pauvre bestiole ! C’est qui le con qui roulait aussi vite et t’a envoyé dans le décor ?… Avoir su ! J’aurais fait signe au char d’accélérer !
Ne m’a apporté que du trouble, le Rex. Et pourquoi « Rex », vous vous demandez ? Parce que très tôt j’ai compris qu’il était le genre de chien à avoir passé sa vie au bout d’une chaîne à japper et à essayer de mordre tous ceux qui essayent de voler les caps de roue de carcasses empilées dans une cour à scrap ou de garage sordide ! Dans l’Est, d’où je viens, ils s’appelaient tous Rex. J’ai pas voulu déroger à tradition. En plus d’être un dangereux prédateur sexuel, il apeure les rares visiteurs qui se pointent ici au point que ma visite du week-end hésitait à revenir dans ma tanière à chaque fois qu’on en était sortis, a crevé le pneu de mon trailer à force de le mordre, a pété trois cordes à linge auxquelles j’attachais auparavant sa chaîne pour se ruer à chaque fois chez à peu près tous les voisins du rang au grand complet afin de faire du grabuge, affoler leurs poules et leurs vaches, faire fuir leurs chevaux, tuer leurs chats, courir les porc-épics et revenir à l’aube aussi décoré qu’un poisson soleil ou un chaman de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Lui enlever tout ça à coups de pince : le gros fun noir ! Quand c’est pas ça, il jappe toute la nuit au moindre craquement de branche, si un arbre tombe ou passe un animal. Encore chanceux de ne pas s’être fait pisser dessus par une mouffette ! Décidément, le Rex : une perle ! J’ai juste hâte qu’il meurt de sa belle mort. Et le plus tôt sera le mieux. Sauf que.
Dans la vie, je me considère comme un gars chanceux, sommes toutes. Pas de tsunamis dans les parages. Bouffe. Tanière chauffée avec musique qui rebondit sur les lattes de sapin de Douglas et délecte mes oreilles. Des amis en masse – et sincères à part de ça ! Mes grands-parents comme les vieux entêtés défricheurs qu’ils sont qui s’obstinent à ne pas mourir malgré leurs 90 ans passés, toujours autonomes en appartement; et tous les autres membres de la famille encore plus pétants de santé ! Bon ok, les finances sont crissement serrées des fois, mais bof ! Connaissez le dicton ? tant qu’on a la santé ! On finit toujours par s’en sortir.
Pour les voisins, c’est pareil. En général, la chance me colle au cul. Du bon monde : rien à dire. Sympathiques et avenants. Discrets, invisibles juste comme il faut. Sauf que. Je sais pas où c’est inscrit exactement. Sur mon étoile de naissance ? En plein noyau de mon karma ?… Je le sais pas. Mais je suis sûr d’une chose. C’est que partout où je vais, où j’ai toujours été et fort probablement où j’irai jamais, il y a toujours, il a toujours eu et il y aura invariablement toujours UNE personne dans les parages dont je me serais passé d’être le témoin de sa capacité à exister ! Vraiment. Presque toujours un voisin. Plus rarement un collègue de travail; ou même un boss ! La plupart du temps : un voisin.
Même l’an dernier, en plein centre de Mont-Royal où je buvais et habitais, y’avait pas moyen que je revienne saoul, tranquille, sans que ma voisine d’en-haut manifeste son désaccord, sa désapprobation, son irritation, son émotion outrée… Puis, au petit matin, j’avais droit à la musique vengeresse ! (Pas de la musique : du tchikaboum de discothèque, du sub-techno-fornicatif-à la 450 exponentielle, je le sais pas moi !) Aux talons hauts sur le plancher, à la vaisselle de la semaine qui par hasard se lavait à ce moment-là, etc. J’ai tout essayé pour ne pas l’offusquer : mimer un spectre, rentrer sur la pointe des pieds dans mon propre apparte, respirer en apnée, mâcher des clorets pour ne pas que mon haleine diffuse jusqu’à son étage et la réveille… TOUT, je vous dis. J’ai même essayé d’être sympa, de la saluer sur le trottoir ou encore dans nos colimaçons de fer forgé d’arrière-cour… Rien à faire ! Nada ! Elle s’était trouvée une vocation dans l’art de me détester. Et j’ai fini par lui faire de la compétition. Finalement, y’a juste une chose que j’aimais d’elle, à part son beau petit cul – parce qu’en plus, elle était belle ! – c’est les jeudis après-midi vers quinze heures habituellement, quand elle se branlait avec son gugusse à batteries et que soudain elle s’envolait à en perdre le souffle et à en faire vibrer les murs. Wow ! Là, j’aurais pu l’écouter pendant des heures ! Un charme. À cet instant magique, on pouvait tout lui pardonner. Et je lui pardonnais tout. Jusqu’à ce qu’elle recommence à faire chier. Continue plutôt.
Ben idem ici, à ma tanière de l’Ouest, y’a fallu qu’il y en ait un. Pas deux, ou trois. Juste un. Mais tout un. Mes terres par ci, mes bâtiments par-là, mon Land Rover special édition par-ci, mon accès au lac par-là, mon chalet, mon tracteur, mon cheval, mon quatre-roues… mon cash ! Bon, pas le choix : c’est un voisin. On risque d’être longtemps pris avec. On ferme sa gueule et on tente de le croiser le moins possible, histoire de ne pas faire d’histoires. Sauf que.
Il y a quelques temps durant l'automne, alors que je ramassais mes poubelles vides et cherchait un des couvercles cachés par le vent du Nord sur son terrain, j’ai bien été forcé de lui répondre. Sous son insistance, j’ai même dû me taper la visite de ses nouvelles installations pour qu’il me casse les oreilles avec sa toute nouvelle passion de riche retraité : les lapins.
Bon ok, vous le savez : j’aime bien les lapins. Normal pour un Coyote. Je lui en achète même un de temps en temps, mais à chaque fois je tente de m’enfuir au plus vite pour aller popoter bien tranquille dans ma tanière. Mais cette fois-là je ne m’en suis pas sauvé, et j’ai dû subir la visite exhaustive de son élevage, souriant officiellement mais me mordant les lèvres d’agacement officieusement. Le point fort de sa lithanie, le pinacle de son marketing, la révélation de son évangile ? CÉSAR. Le gros garenne mâle importé à fort prix d’Europe et qui, en plus de posséder ses appartements personnels et une génétique de concours ainsi qu’une inextinguible libido, donnerait bientôt à ses lapines une généalogie aussi illustre et prolifique que JR dans Dallas. Sauf que.
Avant-avant-hier, Rex a cassé sa chaîne, une fois de plus. Il est disparu deux jours et demie. Merde ! et quand il est revenu gratter ma porte fraîchement vernie de cet été – remerde ! – le canis familiaris ne tenait pas dans sa gueule un fromage mais plutôt un lapin. Et pas n’importe lequel, lapin : CÉSAR ! En personne. Quand je suis parvenu à retirer de l’étau germanique des mâchoires de Rex le moribond reproducteur aux oreilles maintenant déchirées, le pauvre César a dû rendre au même moment l’âme à son Manitu. En fait, la libération de l’âme s’est déroulé en deux actes : le corps d’abord, la tête par la suite. César était décapité. En plus, son corps était éventré; les viscères en pendaient des deux côtés.
- Bordel, Rex !!! Câliss ! Ostie de chien fou ! Tu viens de me mettre dans la marde en tabarnak !!!
J’ai fini par renchaîner le Cerbère après mon antenne de métal sans qu’il ne me viole. Il est dorénavant plus loin encore dans l’ombre, près du bois. Derrière le garage de tôle, caché comme un monstre, un Frankestein dont on aurait honte. Ça l’empêche pas de japper ou de toujours rêver de vous arracher un lambeau de peau; ne faites pas trop de sentiment.
Une seule solution s’est présenté à mon esprit : mettre ça sur le dos d’un animal sauvage plutôt que sur mon chien, dont je suis responsable. Un coyote, fort probablement. Un renard, encore mieux. Ou même un loup, car il y en a quelques uns dans les parages, paraît. J’ai attendu tard la nuit hier, quand mes yeux n’étaient plus capables de lire vos blogues. J’ai enfilé toutes mes pelures d’oignon et suis sorti avec mes raquettes dès que la lune a plongé sous la lisière des arbres. Je n’en ai pas eu besoin à cause de la croûte de glace suite à la pluie des derniers temps. En plus, chanceux, je vous l’ai dit, le vent poudrait une neige crissante, donc au matin il ne resterait trace de mes pas. J’ai donc ramené les restes de César dans sa cage personnelle, en prenant bien soin de gratter un trou sous le grillage par où le renard, l’hermine ou tout autre malfaisant carnivore a dû s’introduire. Ça m’a pris deux bonnes heures sur le sol gelé, mais au moins tout y était : la toison, les viscères et la tête (et les fausses traces de griffes simulées grâce à la fourchette à jardin). En pièces détachées peut-être, mais à cette heure-là, faut pas être trop regardant, non ?
J’ai quand même dormi sur mes deux oreilles, trop content d’être enfin au chaud et abrillé du sommeil du juste. Après tout, je n’ai rien fait à part récupérer un chien blessé et camoufler ses bêtises !
C’est tout à l’heure, en prenant ma marche à moins quarante, que les choses me furent présentées sous une autre perspective…
Mon voisin paraissait soucieux, très soucieux devant la cage. À mon premier passage, je l’ai ignoré en feignant de scruter l'horizon; l'autre horizon je veux dire. Je ne souhaitais pas lui parler le moins du monde. Au retour : toujours debout dans l’air glacial, au même endroit, devant les restes de César. Là je ne m’en suis pas sauvé…
- Hèye, viens donc icitt, toé ?
- (Oh oh !…) Moi ? (Comme s’il pouvait y avoir quelqu’un d’autre à moins quarante avec le vent ?)
Il m’a paru très troublé, nerveux. Un peu agressif; paniqué plutôt.
- J’ai besoin de ton avis… Là je comprends pas trop, là; non, pas trop là… T’é un gars de la ville, toé ? T’as de l’instruction, toé ? Tu vas peut-être être capable de m’expliquer ce qui s’est passé ? R’garde là, mon pauvre César, tout en morceaux dans sa cage… T’é-tu capable de m’expliquer ça, toi ?
- Heeeeeein Ts tss tss…. Pauvre p’tite bête. C’est plate, hein ? On dirait bien qu’un renard ou un coyote l’a mangé. En partie en tous cas…
- NON !!! Tu comprends pas là. Pantoute !
- Comment ça ? Regardez, là, y’a un trou par où l’animal est probablement entré !
- NON ! Tu comprends pas. Tu comprends pas pantoute ! Pis moi non plus ! Pis c’est ça que je voudrais que tu m’expliques, que quelqu’un m’explique maudit crisse !!! CÉSAR, y’est mort y’a trois jours ! J’lui ai coupé la tête parce que je voulais pas le gaspiller pis ma femme pis moi on voulait le manger, mais en l’ouvrant j’ai ben vu qu’y avait la Tulanémie comme les lièvres du coin ! Ça fait que j’ai enveloppé les restes dans un gros sac à vidange pis je l’ai mis dans la poubelle dans le cabanon. Comment y’a fait pour revenir trois jours plus tard dans sa cage fermée ? En creusant le gros trou qui est là ? Pis sa tête, il a tenait comment ?! Il l’a mis où sa tête ?!! Ou c’est qu’il l’a placé, sa tête, pendant ce temps-là ? Là ? juste à côté du trou qui s’apprêtait à creuser ?! Pour être sûr de ben voir où c’est qui s’en allait pis pour pas creuser trop creux ou trop loin pour rien?! Pis ses trippes ! Y’étaient pas dans ses pattes quand y creusait, ses trippes ?! Y les as-tu traversé dans la cage AVANT le reste du corps, ou APRÈS; AVANT la tête ou APRÈS la tête ?!… Là, moi, le jeune, j’suis perdu ! complètement. Va falloir que quelqu’un m’explique ce qui s’est passé…
- Ouais, en effet, c’est un peu bizarre votre histoire… J’en ai aucune idée, Monsieur Boutin, c’est bizarre… En tous cas, moi il faut que j’y’aille, là… Faut que j’aille chauffer mon poêle. Bonne soirée quand même…
Et j’ai quitté mon voisin, pétrifié devant les anciens appartements de César. Pétrifié par le froid, certes ! mais surtout par un intense questionnement métaphysique.
N’empêche, Rex a eu droit à une double-portion ce soir.
mardi, janvier 18, 2005
Aujourd'hui, mon chiant de voisin, mon dépravé de chien Rex, son précieux lapin César et la bizarre roue du destin...
Publié par
Coyote inquiet
à
9:44 p.m.
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11 commentaires:
Ouf! Quelle histoire!
J'ai envie de croire qu'elle est vraie, dans ses moindres détails.
Non mais quelle histoire!
ça se peut pas, te dire combien j'étais morte de rire en te lisant...Quel talent! T'aurais pas quelque chose à publier? ;-)
Lumières
Moi je t'ai ajouté à mes liens...y'a un petit bout de temps. Il faudrait que je trouve un moyen de faire flasher le lien pour le mettre bien en évidence ;-)
re-lumières
Elle est vraiment excellente coyote, j'en pleure. Mais bon, rendu là t'auras compris que mes larmes doivent pas trop surprendre.
Excellente fable dont je cherche encore la morale.
Lapin justifie les moyens ?
Au diable la morale, de toute façon, c'est trop drôle comme c'est là. Merci encore.
Rex a prononcé la formule magique: César ouvre-toi ? ;-)
Héhéhé ;o) Merci.
Arrêtez de me faire marrer; j'essaye d'être sérieux, moi, dans la vie. Surtout que mes finances sont loin d'être drôles !
Quelqu'un aurait un dictionnaire à me prêter ? Je fais des "fôtes" comme pas possible; c'est honteux. Pire que des pets un lendemain de bière. En passant, tanière ne prend qu'un "n", non ?
Hyène ricanante : c'est effectivement l'idée que je souhaitais scénariser pour le concours à R-Can. Sauf que je n'ai aucune idée comment on fait.
Bonne journée gang ! Là faut VRAAAAIMENT que je "vaque" à mes bébelles.
amicalement, mais avec un fond d'inquiétude toujours...
À beau voisin qui lapin de loin!
Pour l'orthographe, s'fait pas mieux ! Un must dans vos favoris (et non pas une mousse dans vos favoris... de barbe)
http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv4/showps.exe?p=combi.htm;java=no;
Merci Patrick, encore une fois !
Plusse tout le monde.
Là j'ai vraiment rigolé...75 points
Je suis convaincue que Rex est un pervers narcissique mdr Bon je quitte le mois de janvier et je vais aller vider mes boîtes c'est le prix à payer pour vivre en liberté à montréal
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