samedi, octobre 31, 2009

"Étarquez la bosse d'empointure !" et cette damnée politique, qui, quand on ne s'occupe pas d'elle, s'occupe désespérément de nous...

Je me suis acheté un voilier. Un petit voilier. Pas cher (enfin, tout est relatif; fut un temps ou je devais survivre un an avec moins que ça... Disons le prix d'une petite japonaise usagée). Une histoire de gars, de rêve, de liberté, de lutte contre les éléments, de tour du monde en solitaire et d'hiver un jour passé sous le soleil cubain plutôt que dans l'ombre grise du mat du stade. Dans la réalité, c'est autrement. Du moins en ce moment. Beaucoup de responsabilités, de dépenses, d'organisation, d'apprentissage intensif, d'efforts et de temps consacré à la chose. C'est comme un gros bébé en fibre de verre qu'il te faut dorloter et torcher, qui peut tomber malade à tout moment d'osmose carabinée, de balsite aiguë ou de craquelures purulentes si la fièvre des vents lui exige un trop grand effort.

Mais c'est génial. Des moments de pur bonheur lorsque tu deviens comme le chef d'orchestre reliant ton bateau, tes voiles, ton cap (qui ne pèse pas plus lourd que le désir humain dans le pot-au-feu aux mille légumes de notre réalité) et les éléments, une sorte d'improvisateur jazz qui se faufile entre les innombrables instruments d'une symphonie aquatique.

Je parlais d'apprentissage... Bien entendu, afin de me doter d'une culture nautique et maritime, je dois lire, apprendre. Les dangers, les obligations, les conventions, les manœuvres, d'urgence et courantes, l'entretien, etc. Ça faisait des lustres que je n'avais pas dévoré des livres à cette vitesse. Et des livres presque sans images !... Un des apprentissages propres à voile et à la vie nautique est celui du vocabulaire. Ouf ! Mon vieux cerveau n'a pas ingurgité autant de vocabulaire d'un coup depuis ma première année (pas d'université), quand la méthode sablier m'apprenait à épeler des mots comme : h (prononcer : ... rien... comme si vous étiez à bout de souffle, asthmatique) - y (prononcer : "i") - p (prononcer : "p", sans "é"; ce qui donne : "pfuhhhh...") - p - o - p - o - t (prononcer : "tfuhhhh...") - a - m (idem : mmmmmmm) - m - e. Entre autres, les cordages.

Il n'y a pas de cordes sur un bateau. Faux; il y en a une. Celle qui retient le petit maillet de la cloche d'airain. Tous les autres cordages sont appelés : "bouts" ("bouttes"). Il y a les bosses, les drisses, l'écoute de foc et la grande écoute, que l'on embarque afin de border la grand-voile, alors qu'il faut plutôt étarquer la bosse d'empointure afin de réduire le creux dans sa bordure. Il y a le hale-bas, les aussière et chaîne, haubans, patatras et étai, les ris, qui servent bien sûr à ariser les voiles, mais attention ! pas à les affaler, ni les ferler, les abattre, les hisser ou les choquer, encore moins les aplatir ou en augmenter le dévers. Il y a l'enrouleur, les écoutes de spi, les garcettes, les penons, qui ne sont pas vraiment des bouts, plutôt des bouts de tissus (ouais, un peu mêlant, j'avoue...), les filins et câblot, la ligne de vie, le bout de harnais, dont les sangles sont bien assurées, les filières, solidement attachés aux balcons et tenus par les chandeliers, la drisse de spi, les galhaubans, ceux qui passent par les barres de flèches, et les bas-haubans. Un glène, lorsqu'un cordage est roulé et que l'on capèle en spires sur un taquet du mât la plupart du temps, les brins de filins, avec lesquels on procède à l'épissure (nouage d'un oeil épissé), la bosse d'amure, elle aussi une manœuvre, synonyme de tout bout qui ne fait pas partie du gréement dormant, ou plutôt avec lequel on manœuvre le bateau, les bouts du pare-battage ou des défenses, le halin, lorsqu'un homme (ou, identiquement, une femme... mais ça flotte beaucoup plus, y'a moins d'urgence... ;o) tombe à la mer, l'orin, d'un corps-mort par exemple, du fil à voile, bien entendu, la ralingue, qui est rarement raguée, contrairement aux bosses d'amarre ou aux gardes; les bungees et les sandows, pratiques comme des élastiques, les saisines et attaches, le tire-veille, et bien entendu, notre ceinture, que l'on desserre après un copieux steak d'espadon sur le BBQ au soleil couchant des tropiques (yes, in my dreams...) et, pour ceux de ma génération et qui n'ont pas grandi avec des espadrilles à sangles de velcro fluo full cool, les lacets de nos souliers.

Ça fait pas mal de cordes, non ? Oups ! de bouts. Eh bien ça illustre bien à mon avis une des particularités les plus évidentes du génie de notre langue, le français : le mot juste. La précision extrême avec laquelle on arrive à nommer les choses. Et là on ne parle que d'objets. Cette précision chirurgicale qu'atteint parfois la langue française est plus manifeste encore lorsqu'elle enrobe des entités immatérielles, des idées, des sentiments, des états ou émotions de l'être, des affects du coeur humain. Je ne sais pas, mais je trouve ça important. C'est toute une sensibilité que véhicule une langue, un rapport au réel, une attitude vis à vis le monde, la vie en général. Et dans la chorale des langues, je considère que le français a tout lieu d'être. Et de perdurer, ici, entre autres, sur notre terre d'Amérique. Et dans sa métropole, en l'occurrence.

Bon, ok. On parle pas tous un français qui nomme aussi précisément le réel et les concepts. Il arrive souvent qu'on le parle comme le gars de la chanson de Martin Léon : "ouais ben... je voudrais pas t'apprendre des affaires que tu sais déjà... mais on dira ç'qu'on voudra... c'est ça qu'y'est ça. Comprends tu ?... S'cuse-moi, j'ai une autre ligne !" (quelle toune, quel humour !) En augmentant le degré d'approximation dans la nomenclature des choses, je crois que nous avons compensé par un accroissement de l'intuition réceptive, de l'imagination lors de la reconstruction sémiologique ou plutôt sémantique qui se produit dans la pensée de l'élément récepteur du couple communicationnel. Genre... Car quoiqu'il en soit, on comprend tous ce que le gars de la chanson veut dire, mais chacun à sa façon. C'est donc de la pure poésie ! Héhé.

Pour ce qui est de la politique, eh bien demain, c'est jour d'élections. La politique me pèse, m'a toujours pesé. Tous ces jeux de pouvoir et de langue de bois, de c'est pas moi c'est lui ! Nous on aurait jamais fait ça ! Et on vous promets deux fois plus que ce qu'on vous avait promis la dernière fois et qu'on a gardé bien au chaud en prévision d'un jour de demain, etc.

À Montréal, où j'habite. Quand même ! OK, c'est la récession. Mais ça fait combien d'années que Montréal se détériore, se dégrade, se polarise, se débine et s'engrisaille ? Plus que deux ans. Ça fait un bout (sans jeu de mots...) que Montréal se zombifie ! Elle n'est pas devenue moribonde comme ça depuis le seul effondrement des marchés boursiers l'an dernier, non ? Il y a eu à quelque part un sérieux laxisme et ou manque de vision. Idem au niveau de la langue officielle.

C'est facile à comprendre. On a chacun nos vies, nos problèmes, nos difficultés à résoudre, le bonheur aussi qu'on poursuit ou tente de saisir par différentes tactiques. On laisse la politique aux politiciens. Ce sont des professionnels; ils sont là pour ça. Ils aiment ça. Servir la collectivité (et il y a beaucoup de vrai là-dedans, pour plusieurs). Ou se servir (et ça, c'est tout aussi vrai, mais pour quelques autres seulement, dont on parle beaucoup). Le problème, c'est qu'on ne peut toujours laisser faire. Sinon on se fait avoir. On se retrouve avec une situation qu'on n'accepte plus. Par notre faute. À cause de notre unique négligence, notre seul manque de vigilance. Le délabrement de Montréal par exemple, la balafre qu'on a laissé apparaître sur son visage francophone, par exemple encore.

Et c'est idem ici, où je suis en visite, à Lévis, pour une petite vacance entre deux contrats. La mairesse a sans doute fait des bons coups et eu de bonnes intentions derrière ses actions... Mais les temps changent ! Arrive un jour où les vieux réflexes passéistes de développement à tout crin, d'urbanisation chaotique tous azimuts parce que ça rapporte des taxes pis-au-diable-les-arbres-les-espaces-verts-et-où-toute-considération-de-beauté-d'harmonie-ou-d'histoire-d'un-endroit-ne-pèse-rien-dans-la-balance (un peu comme le projet Rabaska) n'est plus pertinent comme paradigme de développement. Vient un jour où la navigation à l'aveugle et qui fait fi du gros bon sens devient inadmissible. Surtout parce que les conséquences de ce laisser-aller, de ce laisser-faire, sont irréversibles bien souvent. Toutes ces nouvelles constructions, ces développements immobiliers chaotiques qui rasent les derniers espaces verts de la Rive-Sud de Québec contre des billets de la même couleur, on ne peut plus les défaire, lorsqu'on les a laissé pousser. La laideur s'est propagée, l'asphalte s'est déroulé comme le tapis rouge de l'artifice, les grosses demeures cossues et gonflées d'ostentation, qui grugent jusqu'au dernier pouce de chaque cadastre, dessinent maintenant la ligne d'horizon et détrônent à jamais la moindre cime des arbres. Et c'est irréversible.

Bien entendu qu'il faut du développement économique, que les gens puissent "se bâtir", mais est-il acceptable que ça se fasse toujours selon les caprices et en accord avec l'appétit et la "vision" des promoteurs immobiliers (qui semblent passés maîtres dans l'art de jouer du pot-de-vin, si on en croit les dernières découvertes du journalisme d'enquête) ? Sans leur opposer le moindre "holà" ? Les politiciens jouent avec des chiffres et du court terme. C'est leur pain quotidien. Leur vision archaïque et rétrograde de la modernité, du profit, des taxes ou du développement demeure hermétique à des considérations dont l'ordre de grandeur se situe ailleurs que dans le court terme, comme l'écologie, le durable, un développement urbaniste plus équilibré et harmonieux...

L'avantage, avec la démocratie (ce peut parfois être un désavantage...), c'est qu'on peut, nous, imposer des WO ! quand on juge que ça suffit et que c'est allé trop loin. Ça demande seulement un petit effort de notre part.

Ça adonne bien : demain, c'est jour de vote ! C'est le moment de fournir ce petit effort.

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