Quand je suis arrivé, j'ai tout de suite été happé par une bouffée plébéïenne Deluxe... S'cusez d'avoir l'air snob et élitiste comme Sophie, mais quand même, y'a des limites à l'ouverture d'esprit et au voeu de ne pas juger...
J'ai fini par recevoir tous mes papiers, et bon, c'était peut-être légèrement sans manières, mais ça allait ! On a connu pire. On a connu la mer et les marins. Les gars de bois. Des motards en Outaouais, des trappeurs et des indiens au Yukon et des gangs de rue à Mexico, qui avaient vendu une livre de pote au Mexicain avec qui j,étais revenu de Puerto Escondido...
On m'a jumellé à un chauffeur.
- C'est Bob.
- Salut Bob.
Il a pas répondu, n'a même pas posé sur moi le regard et s'est dirigé vers sa dépanneuse. J,ai conclu que je devais suivre. Vu juste.
Bob, c'est quelqu'un de très occupé. Deux téléphones cellulaires, une radio et un scan pour la police. Je ne peux pas dire que Bob ne soit pas bavard, mais Bob ne parle qu'exclusivement à ses bidules électroniques. Autrement, Bob n'entend pas. Et au bout de quelques minutes et quelques tentatives avortées, je me suis adapté à la situation en bon coyote, pas mécontent que nos quarts de travail se présentent enguirlandés de silence.
Bob fait facilement 250 lbs et a un regard et des manières qui rappellent vaguement nos lointaines origines africaines. J'ai eu plusieurs occasions de le constater durant ma nuit avec lui. J,ai tout de même appris que Bob, en plus de gérer plusieurs dépanneuses lors des déneigements, est aussi agent de stationnement pour la ville et, ô surprise, est aussi chef de section syndicale... D'ailleurs, plutôt que d'aller prendre une pause dîner, comme supposé, Bob a décidé qu'il allait rejoindre sa gang en party de bureau et que je n'avais, moi, pas besoin de manger pendant ces 12 hres et qu'une petite pause à poireauter dans le truck me suffirait amplement pour me sustenter. Heureusement, la job fut plutôt relaxe et je n'ai pas eu à aller combattre le froid humide de la nuit.
Bob n'aime pas qu'on le contrarie. Une dame qui s'était engagée dans une voie et qui , de ce fait, lbloquait le passage à Bob, l'a appris à ses dépens.
- Enwoye câlisse d'innocente, j'm'en va là tabarnak, tasse-toué !!!
La dame a gentiment obtempéré. Demandé comme ça, qui résisterait ?
On circulait, peinards sur une artère bien connue, quand un des adolescents d'une bande de cégepiens a tiré du trottoir sur ma fenêtre une grosse motte de neige. J'ai vu le prjectile du coin de l'oeil arriver vers moi et j'ai eu un réflexe pour l'éviter... Ce qui alerta Bob, en plein milieu de conversation avec son cellulaire... ou son CB ?... Aucun problème, Bob a coupé cours au débat et a exécuté un magnifique u-turn avec sa remorqueuse qui a pris les quatre voies pour aller se stationner dans le banc de neige à contre-sens... et, après avoir copieusement menacé et insulté les jeunes anglos, sortir de son véhicule en direction de l'ado qui avaient eu le front de répondre qu'il ne s'agissait que de neige... Bob a déplacé sa masse vers le freluquet et n'eût été de la rapidité mentale du jeune qui a sorti sa caméra digitale et a pris plusieurs clichés de Bob, je vous jure qu'il le pugilait ou le broyait de toute sa pesante humanité. Ç'aurait été bien l'fun d'aller intervenir là-dedans !...
Heureusement, bob connaît bien la chanson. Aussi, à chaque fois que nous aurions dû, que le contremaître nous demandait de déplacer un véhicule, Bob réagissait par une tactique, ma foi ! très efficace, voire infaillible. On allait se cacher au bout du territoire et roupillions une petite demi-heure. Puis on revenait, tous phares allumés et - ô magie - les autos avaient toutes disparues. Infaillible, vraiment. Je suis demeuré admiratif face à son expertise pendant de longues et silencieuses minutes avant de m'assoupir à mon tour. Décidément, Bob, quel pro !
Plus tard, vers la fin de la nuit, qui est aussi le matin pour plusieurs, Bob a décidé qu'il prenait toutes les voies avec son six roues en descendant Papineau et qu'il empêchait un autre jeune bourré d'hormones et strangulé de retard, écarlate de mauvaise humeur, de le dépasser... Il a répété son manège deux ou trois fois et je voyais de mon côté l'allier-droit gesticuler lui aussi comme un ancêtre simiesque, la bave qui explosait dans son wind-shield et la fenêtre passager... Évidemment, on finit toujours une course en ville sur une lumière rouge... J'assistais donc au discours muet de l'autre crâne rasé et, après une seconde de réflexion, j'ai déduit que Bob méritait sans doute d'entendre les félicitations qu'on lui adressait copieusement... J'ai donc ouvert ma fenêtre, histoire d'amélier l'accoustique.
- Y'a quelqu'un qui veut te parler je pense...
Et ai encore une fois eu la chance d'assister à un magnifique spectacle de civisme citadin qui n'en serait probablement pas resté là si les lumières, fort heureusement, ne retournent pas quelquefois au vert, ce qui, au départ du confrère primate, le força à rentrer dans la cabine et refermer la porte dans un clac assomant.
Puis on est rentré au clos, peinards encore. Une fois stationné, je me préparais à sortir pour aller remettre mes papiers, le coeur serré de devoir si tôt quitter Bob...
- Sors pas d'icitt vant qu'j'te l'dise... Y vont me couper des heures sinon. J'ai donc eu la chance de passer quelques précieuses minutes de plus en compagnie de Bob l'ingénu.
Je pensais à toutes les fois où j'ai entendu du monde de ville exprimer leurs craintes vis-à-vis des moeurs rustiques qui sévissent à la campagne, encore plus rough à la campagne profonde. Et c'est vrai parfois. Je l'ai déjà vu. Mais je songeais aussi à toutes les craintes que j'ai pu entendre exprimées dans la bouche de gens de la campagne, médisant sur la ville et les moeurs dangereuses qu'on y retrouve et je dois avouer qu'hier, Bob m'a incontestablement convaincu qu'il y a un peu de vrai dans cette allégation. C'est comme le bien. Le blanc le noir. Le chaud le froid. Yin yang. Faut rester zen dans tout ça. C'est la seule chose qu'on apprend, en voyageant ou en demeurant sur place. Les humains partout pareils. La lie brutale, l'hypocrisie effilée ou la droiture franche et le réflexe humaniste. D'ailleurs, pendant un arrêt, j'au aussi eu la chance de piquer un brin de jasette avec Thomassina, une dominicaine mère de quatre fille, trop heureuse d'avoir ce poste à temps partiel après quatroze ans de vie à Mtl et un bacc de physique en poche à son départ. De tout, de tous. Melting potion. Vieux comme le monde.
N'empêche, je regarde l'horloge avancer et j'ai si hâte ! J'espère tellement avoir la chance de travailler avec Bob ce soir encore...
- Le travail, c'est la santé !
, disait Grand-Papa.
- C'est les amis surtout !
* * *
Bon ben, temps de déjeûner je suppose...
mercredi, décembre 05, 2007
Le chouette milieu du déneigement
Publié par
Coyote inquiet
à
1:04 p.m.
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2 commentaires:
Merci et vivement une autre nuit pour que tu viennes nous raconter Bob.
Nancy
Vrai qu'on a tout de suite envie de l'avoir comme ami.
Il jouerait pas au poker, ton Bob?
(Il me reste des jours de maladie à prendre... plutôt pratique si je me fais casser la gueule!)
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