(Commentaires et questions suite à la lecture des textes de P. Lévy (Le mythe de la société de l'information), d’un article du Devoir (4 fév. 1988) (Les télécommunications, à l'origine d'une nouvelle organisation sociale et économique), d’Armand Mattelard (Histoire de la société de l'information - coll. Repères), de J-P Boyer (L'information en tant que savoir, pouvoir et droit : enjeu critique pour la négociation d'un nouveau contrat social - 1994), de Sally Birch (Société de l'information / Société de la connaissance)et de L. Brown (Les sept péchés capitaux de l'ère numérique).
Ce sera encore une fois difficile de commenter ou résumer en un court billet trente-six pages de propos denses et songés, répartis en six textes différents...
Premier texte : le mythe de la société de l’information. Pierre Lévy, dans un style poétique, littéraire mais qui débouche rapidement sur une ironie mordante aussitôt saisi son deuxième degré, lance une charge sarcastique sur cette prétendue nouvelle ère de création et de transferts de connaissances tous azimuts qu’aurait ouvert notre société de l’information. Ce ne serait qu’un mythe, considérant que la création, l’échange d’informations et l’accumulation de la connaissance ont toujours fait partie intégrante de toutes les sociétés, ce que je considère aussi comme exact. Pour Lévy, l’avènement d’une nouvelle ère de l’information n’est qu’un leurre, un écran fumigène : on assisterait plutôt à une quantification de l’information depuis sa numérisation, qui aurait plutôt offert un nouvel El dorado à la sphère marchande, qui monnaye au passage l’échange. L’informatique n’aurait en fait conduit qu’à une marchandisation de l’activité cognitive humaine, compte tenu des limites géophysiques de notre monde qui se dressent au même moment contre la croissance économique infinie. Bien sûr, le texte de Lévi est bien écrit attaque avec virulence le moulin à vent d’un mythe ou d’un concept pour le moins flou, à l’utilisation généralisée au point qu’il serve souvent de fourre-tout à l’un ou l’autre des nombreux discours et conceptualisations aussi divergents qu’incompatibles qui se l’approprient. Ce texte est davantage de l’ordre du pamphlet que de l’analyse profonde, mais, comme le poème, il n’est pas sans valeur parce que concis et concentré. Il ne fait qu’ouvrir une piste de réflexion et de questionnement par le biais d’images choc saupoudrées d’ironie.
Le deuxième texte est presque pathétique. Il relève de la vente à l’encan pure et simple. Certes, l’évidence de la croissance de la sphère d’activité des télécommunications et du marché qu’elle sous-tend est soulignée par le lobbyiste en mal de subventions; et elle s’avère exacte. (Nous le savons avec certitude, presque vingt ans après l’écriture de cet article.) Mais la perspective n’est que technique, sans profondeur ni remise en cause d’aucune sorte. C’est la course au nouveau marché d’un homme d’affaires surexcité, d’un conférencier grisé de la nouvelle cocaïne technologique et qui exhorte les décideurs de politiques nationales à investir massivement dans son secteur d’activité, soit les réseaux de communications électroniques. Quoique juste dans sa prédiction, sa vente de salade technocratique ne fait que participer à la logique de l’urgence du changement pour le changement, pour rester dans la course. Elle contribue par le fait même à évacuer toute remise en question, tout débat sur le bien-fondé, les causes, les modalités ou les conséquences du basculement vers les nouvelles technologies en question. Aucun recul n’est admis, comme dans une vente sous pression. Les fonds nationaux doivent couler en abondance dans ce secteur de croissance : ne serait-il pas légitime de questionner un tant soit peu les retombées de ce secteur sur l’ensemble de la nation et de ceux qui la composent ?... Peut-être aurait-on du prendre un peu plus son temps, chez Nortel ?... Peut-être que l’action n’aurait pas autant chuté quelques années plus tard ?...
Dans une langue maîtrisée encore une fois, peut-être trop car elle « jargonise » et rend hermétique la réflexion plutôt que de la rendre facilement accessible au lecteur, Armand Mattelart trace un portrait précis des évolutions de mentalités, pensées, attitudes et ambitions, des politiques qui leur ont été associées ou tributaires, puis des concrétisations ou percées technologiques qui en ont découlé. Texte extrêmement instructif de par sa précision historique, il rend bien compte de la fracture des visions concernant le monde qui pouvait résulter de ces nouveaux apports techniques. Ainsi, Wiener, Machlup, Stiegler, Innis ou McLuhan perçoivent-ils de façons complètement différentes, voire divergentes, les particularités des métamorphoses qui s’opèrent sous leurs yeux. La « société de l’information », ses nature et/ou définitions et plus encore son avenir varient considérablement chez l’un à l’autre de ses contributeurs ou philosophes qui la questionnent. Variant du village global utopiste idéalisé par McLuhan au Big Brother ordiné craint par Mumford, pouvons-nous, aujourd’hui, avec le recul (ou en avons-nous suffisamment, au fait ?!) positionner la réalité avec plus de lucidité, de justesse, dans ce continuum entre l’utopie et l’horreur ?
Pour sa part, Jean-Pierre Boyer questionne, cartographie plutôt, dans un style accessible, les liens souterrains entre l’information et les incidences qu’elle exerce directement ou plus indirectement sur le tissus social, le tout dans un angle d’observation éthique, pour ne pas dire mû dans son entreprise par des considérations humanistes concrètes. Relativisant les excès futurologiques de la société de l’information, puis questionnant les concepts d’information, de savoir, de connaissance, le lien est établi entre la production de sens ou l’interprétation du réel et le pouvoir social revêt alors l’information. Concluant à la primauté d’un droit fondamental à la communication libre et pluraliste, tel que cautionné par les résolutions de l’UNESCO, l’information… la communication égalitaire plutôt, devient l’incontournable outil de participation consciente et créative au modelage social actuel autant que dans son devenir historique. Quoique d’accord dans l’ensemble du propos, je me permets de soulever deux points qui m’ont chicoté. P.4 « Considérant aussi le haut niveau… tendance lourde à la privatisation-marchandisation … s’en trouve déjà considérablement réduit. » Ne peut-on contester cette affirmation ? Quand on pense que la télé est bien souvent… gratuite; l’information sur internet… gratuite; les journaux… peu dispendieux, ou gratuits; que les lettres ouvertes sont de tout temps acceptées… Autre point, p.2 : la résolution du conflit, de la redéfinition du nouveau contrat social découlant de la révolution de l’information découlerait sur un enjeu fondamental : l’accès à l’information publique ainsi que le droit des citoyens à la communication. Avant même d’accéder ou de briguer une égalité à l’information, n’y aurait-il pas primauté à placer sur les conditions indispensables de dignité humaine (nourriture, toit, travail…) qui ont pu être bousculées, sinon piétinées conséquemment à la révolution de l’information ? Le rapport pourrait sembler biaisé ou lointain, mais l’est-il vraiment ?... Je ne pense pas. Je crois surtout que le droit à l’information vienne après le droit à la survie, que certains n’ont (presque) plus.
Sally Burch, pour sa part, entreprend un périple étymologique ou sémantique tournant autour des différentes appellations de la société de l’information, des variantes de sens et de paradigmes qui les auréolent. Il est intéressant de constater une fois de plus la référence aux nobles intentions qu’énoncent clairement les résolutions de l’UNESCO, de la Déclaration de principes de Genève… et le déphasage, voire le choc brutal qu’il peut parfois y avoir entre elles et les bavures qui découlent parfois de la mise en place des percées technologiques ou des bouleversements qu’elle provoque. Petite note : il est intéressant de remarquer dans ce texte encore la variation de sens que permet les langues latines (le français plus encore peut-être) entre les termes de connaissance et de savoir et la zone nébuleuse d’interprétation que la traduction du terme knowledge recèle.
Encore une fois nous concluons à la supériorité qualitative de la communication pluraliste et égalitaire sur l’information pure et dure, majoritairement technique, unidirectionnelle et dissociative. Il serait difficile de contester les plus nobles intentions ou les plus beaux vœux pieux… Mais même si nous parvenions à une aussi grande ouverture, une aussi belle qualité communicationnelle via la technologie, les nouvelles modalités plutôt, offertes par le développement exponentiel de la technique, la problématique ne demeure-t-elle pas pour autant, puisque société physique et virtuelle sont interconnectées : comment vivront, se nourriront ceux qui consacreront leurs énergie et efforts au partage gratuit des connaissances, au rehaussement de la qualité communicationnelle dans la sphère virtuelle ou multimédiatique ?
Dernier texte : les sept péchés capitaux de l’ère numérique. Sa particularité par rapport aux autres textes est qu’il discourt beaucoup sur la télévision, laquelle occupe une place de choix dans sa description de l’ère numérique alors que pour les autres, on axe surtout sur les réseaux ordinés et les formes de communications qui en ont découlé. Il y aurait beaucoup à dire sur ce texte aussi, mais l’espace manque cruellement, aussi en débattrons-nous davantage demain durant le cours.
Suite à la lecture de tous ces textes, on peut conclure que la grande majorité des termes qui sont employés pour décrire ou nommer l’ère de bouleversements technologiques (et surtout humains) qui est la nôtre flottent eux-même dans un no man’s land sémantique. Les termes représentent des concepts différents, portent des visions différentes, des sens ou des connotations carrément divergentes. La plupart d’entre eux sont devenus des termes multiformes, à sens multiples, peut-être les seuls appropriés pour décrire une réalité à géométrie variable à ce point ?...
vendredi, octobre 06, 2006
Problématique de l’information et de la société de l’information
Publié par
Coyote inquiet
à
12:35 p.m.
S'abonner à :
Publier des commentaires (Atom)

3 commentaires:
Bon j'ai imprimé les deux derniers textes et je vais les lire demain au petit déjeuner. -9 PAGES!- Parlez-vous autant que vous écrivez?? lol J'suis dont bien de bonne humeur ce soir. Au fait j'oubliais! Devons-nous organiser une soirée bénéfice pour le paiement de vos contraventions ?
:-))) Bon week-end M.Inquiet
Ce serait bien, en effet.
Bien entendu, je n'osais émettre l'idée, par politesse... Mais maintenant que vous le suggérez !
Soirée de poésie post-contravention
pour contrevenir les autorités en mal de mots et d'essence soit Au Vert Bouteille, chez Baptiste ou au Café So. Bref! Quelque chose du genre et après nous passons le chapeau en signe de :Quelle merde les parcomètres! Là je me retiens car en fait j'aurais écrit quelle ostie de merde les parcomètres
Publier un commentaire