(... Suite)
La job de Job (ou) Le journaliste de l’anti-matière
N’empêche, on rushe dans la vie. Y’a toujours quelque chose qui cloche. Quand ce n’est pas d’un côté, c’est de l’autre. T’as tout ton temps ? T’es libre comme l’air ?… Bent’as pas une cenne pour en profiter. L’angoisse te visite à tous les soirs et certains jours, c’est l’envie écumante qui pousse ta chaise roulante dans les ruelles grises de la ville, entre les containers à déchets et les grafitis trop voyants, en retrait des rues coquettes (huppées du plateau) et du regard de ceux qui ont, ceux pour qui ça marche dans la vie ! De toutes façons, il n’y a personne de dispo avec qui tu pourrais les réaliser, tes plans de nègre à la con. Ton tour du monde. Ta brosse de trois cent soixante quatre jours. Ton super film qui ferait date dans l’histoire du cinéma national; un monument, va sans dire. Ta révolution, même! Implacable. Incorruptible. Inexorable… Tectonique. Ta révolution contre l’injustice, l’inéquité. Contre le trop-plein des baby-boomers et le trop peu de ceux qui suivent. Contre le temps qui passe; ou pas assez vite. Ta révolution contre ceux qui sont trop forts ou beaux. Contre ceux qui sont trop heureux, trop aimés ou trop chanceux. Ta révolution contre le mal de vivre de certains matins et contre ceux de qui ça dépend fatalement – les salauds, les chiens sales ! Allez hop, guillotinez-moi tout ça, cette bande de malveillants qui administrent ton malheur en échange d'un salaire scandaleux en connivence parfaite. Au bûcher, les vendus ! Au supplice ! À mort ! à mort, ces illuminatis qui nous humilient ! Que demain la vie renaisse. Que refleurisse le monde. Que chacun soit recouronné de dignité. Et que plus jamais nous ne commettions les mêmes erreurs, n’acceptions les mêmes injustices… Révolution ! révolution ! Notre révolution. Ta révolution. Ma révolution… L’ennui, c’est qu’on n’est pas synchro personne. Une journée, c’est lui qui la souhaite. Vous la réclamez le lendemain, moi le suivant. Aujourd’hui, c’est le gars assis en face de moi dans le RER. Toute cette rage contenue dans un seul homme et son trois pièces ! C’est quand même étrange à voir : Che Guevarra en cravate de soie...
Et quand pour la première fois de ta vie l’argent tombe comme la pluie, t’as plus une seconde à toi. Bon ok, l’ouvrage c’est l’ouvrage. Toujours un petit quelque chose de contraignant, d’aride émotionnellement. Le (irréfragable) éternel (invariable) effort à fournir dans l’accomplissement de sa tâche. Mais dans ce premier mandat,à ma tâche s’ajoutaient les quatre heures de train que je devais me taper. C’est long ! Chaque station, un mendiant en remplace une. La même litanie se déroule comme un tapis de larmes (tapis rouge du malheur). Le tapis est parfois plus sale chez le voisin… Suit un musicien roumain, virtuose du violon ou de l’accordéon. Encore se tortiller sur son banc en s’excusant pour agripper une pièce volatile qu’on remet à l’enfant au regard sombre. Un autre arrêt. Puis encore du Édith Piaf qu’on te hurle dans les oreilles par-dessus les crissements du train qui ralentit…
Au début, j’ai stressé. Réellement. On m’avait vendu comme un expert réseau et c’est tout un projet d’architecture qu’on me demandait de réaliser en coordination avec les bonzes de la maison-mère de la multinationale, à Houston. Même si je n’avais pas encore une seule cravate d’achetée. Heureusement, j’apprends très vite. Une éponge. Et en fouillant sur le net, j’ai eu tôt fait de trouver la documentation qui me permit de faire le tour de la technologie dont il était question. De plus, notre agence plaçait un autre Québécois dans la boîte et on lui assignait le mandat de me parrainer afin de continuer à faire bonne impression à la compagnie (direction). Rico, qu’il s’appelait. Un authentique savant fou. Tout n’était qu’informatique chez ce type. Des zéros et des uns devaient déferler dans ses synapses. Des lignes de codes, des programmes ou des scriptes, des appels au noyau ou des libraires dynamiques dans ses veines. Étourdissant de l’écouter parler. Surtout avec tout ce café noir, tachant ses dents, qu’il buvait comme de l’eau; ou moi, de la bière… Il était une source inépuisable de renseignements techniques et de connaissances informatiques. Son teint blême laissait entrevoir les milliers d’heures qu’il avait dû passer dans un sous-sol de banlieue à programmer ou à bizounner sur ses ordis. Le genre crack ou hacker exalté qu’on voit dans les films, survolté par son génie, avec la nuit silencieuse et une soixante watts comme seules compagnes. Devait pogner avec les femmes, lui !…
Le cadre de travail correspondait à l’idée que je m’étais fait. Des professionnels cravatés engoncés dans le scaphandre de leur position hiérarchique. Un ordre à respecter pour les salutations du matin, une séquence à suivre pour l’heure d’arrivée au bureau… Et toutes ces poignées de mains et ces civilités factices (formalités vides mécaniques) !… Par contre j’éprouvais le plus grand des respects vis à vis le rang quasi sacré qu’occupe la pause café ou l’heure du déjeuner.
Ces quelques premières semaines de travail me convainquaient de deux choses. Un : de ma capacité à mener à bien le projet qu’on m’assignait. Deux : de l’urgence que je renouvelle mon garde-robe. On a beau dire que l’habit ne fait pas le moine : à Paris, c’est le contraire. On mesure ta valeur bien davantage à ton apparence et à ta chanson qu’à ton potentiel ou à ton efficacité réels. Un peu comme sur le Plateau. Syndrome de villes modernes je crois. Sont comme ça : la forme a préséance sur le fond. Il y a quelques siècles, on a coupé la tête des aristos à raz leur froufrous, mais on a oublié de trancher celle de l’aristocratie (royauté) ! Mépris hautain d’un côté, aplatventrisme et obséquiosité généralisée de l’autre. Anyway. Puisque je tentais de croire en mon karma renouvelé, il m’importait que le regard des collègues ne s’objecte à tout moment en manifestant de l’incrédulité vis à vis mon titre, ma fonction, mon rôle : mon nouveau moi, quoi !
À l’apparte, les choses allaient plutôt bien. Guillaume-Antoine accomplissait sa petite routine, son boulot comme moi et il arrivait qu’on soupe… pardon, qu’on dîne ensemble puis qu’il me guide en vélo à quelque endroit de Paris que je ne connaissais pas encore. Il aimait pédaler. Et malgré ma bonne forme physique, il m’en fit baver et suer les deux journées où nous sommes allés visiter les châteaux de St-Germain en Laye et de Versailles. Dans les côtes surtout. Quel bon grimpeur il était ! De temps en temps sa maîtresse du moment venait le visiter mais avec des bouchons dans les oreilles, que j’aurais insérés de toutes façons à cause du vacarme du trafic et des mobilettes (vespas scooters) sans silencieux, leurs ébats ne me tenaient réveillés ni même ne m’empêchaient de m’endormir du sommeil du juste - qui travaille le lendemain. J’en profitais pour aller au Bistro Pasteur tout près et essayer mes tout nouveaux Francs en me délectant de cuisine française. Il ne restait plus rien déjà de la canicule qui sévissait à mon arrivée. La température était plus confortable. Par ailleurs, on sentait déjà que plusieurs désertaient pour les vacances, ce qui rendait Paris plus agréable. Guillaume me promettait moins de promiscuité et de davantage de tranquillité encore pour le mois d’août. Fallait voir ! car, parallèlement (simultanément), je remarquais que de plus en plus de touristes envahissaient le labyrinthe beige. D’ailleurs lui aussi partirait sous peu en Lombardie et m’abandonnerait l’appartement.
Il avait plu quelques jours et ç’avait été facile d’aller travailler ces journées-là. On dirait qu’on a moins l’impression de rater la vie lorsqu’il pleut. En regardant les coulisses sur la fenêtre de mon bureau, avec en arrière-fond ces nuages gris d’automne, je pensais souvent à elle en soupirant comme une espèce de poète du Romantisme… Puis je me remettais au boulot, car je vis à une autre époque… (Et faudrait surtout pas passer pour un homme rose !)
Shopping blues (Onondague-Joe and ze Freak Show (ou les courses du samedi))
- Salut, qu’est-ce que tu faisais ?
- Rien, (baillai-je)… Un génocide dans un kleenex en pensant à toi…
- Ah ! grossier. T’es pas drôle !
- Fâche toi pas. C’est une blague, d’abord. Quoique…
- Veux-tu bien me dire qu’est-ce qui t’es arrivé l’autre fois au rave ?…
- Longue histoire. T’es sûr que tu veux que je te conte ça tout de suite, à matin ?
- Pourquoi pas ? J’aimerais savoir ce qui s’est passé !
- Plus tard, Sarah-Lyne… Ça serait trop long. Y’est quelle heure, là ?
- Il est un peu tôt, j’avoue, mais regarde dehors ! Il fait super beau ! Qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui ?
Je m’étirai le cou dans l’entreporte pour apercevoir l’horloge dans la cuisine. Effectivement, il était tôt. Je perdais le seul matin où j’aurais pu dormir (paresser sommeiller) et rattraper quelques unes des trop nombreuses heures de sommeil dont mes dernières semaines de travail m’avaient déjà rendu déficitaire, mais de réentendre le son de sa voix insufflait comme un air de montagne dans l’âtre cendreuse de mon cerveau, humectait mes mains (pieds peau sens) d’une rosée fraîche, m’enfournait un chant du coq dans les oreilles. J’avais soudain l’impression d’entendre Heidi au pays des cloches à vaches et des Edelweiss. De surcroît, c’est exact qu’on a un bel accent et j’étais heureux de le réentendre. N’empêche, je n’allais pas la lui céder trop facile…
- " On " ?…
- Oui, toi et moi… Qu’est-ce que t’avais prévu faire, d’abord ?
- Bof ! Rien de spécial. Mon lavage… Pis peut-être un film ce soir à Montparnasse.
- T’es encore fâché, hein ?
- …
- Tu m’en veux encore ?… Je regrette. Je le ferai plus, je te le promets, Yves. Moi non plus je le savais pas qu’elles étaient fortes de même !
- … (Ah, l’amour !) Ben disons que je suis pas certain de l’avoir trouvé drôle, Sarah-Lyne…
- Je le sais, Yves… Tu m’excuses-tu ? reminauda-t-elle.
- … Disons que si tu viens magasiner du linge avec moi toute la journée, je vais être plus enclin à passer l’éponge.
C’est le genre de réplique qu’elle attendait.
- T’es sérieux ?!… J’ADORE magasiner. Du shopping ! (s’enthousiasma-t-elle jusqu’aux suraiguës comme une Parisienne.)
- Ouais… Faudrait pas que tu sois trop douée non plus… Tu me fais peur un peu, là. Bon, pis, tu viens-tu manger chez nous ou on se rejoint quelque part ? Vu que je suis réveillé, astheur !
Finalement on s’est retrouvé à Montparnasse dans un café aux verreries art nouveau, café de la gare si je ne m’abuse. Je craignais que ça ne soit un peu dispendieux, mais Sarah-Lyne éclipsa mes appréhensions d’un sourire. Elle appréciait s’entourer de belles choses, évoluer dans des environnements sop0histiqués. Ce décor conférait une touche d’Anaïs et Henry, Jean-Paul et Simone à notre rencontre (impromptu). Je ne voulais pas priver Sarah-Lyne, férue de théâtre et de culture qu’elle semblait être, de cette petite aura d’histoire qui irradie de certains endroits ou moments dans Paris. Je me suis tapé une galette de sarrasin gratinée tel que suggéré par le chef, un Breton, tandis que Sarah-Lyne préférait s’en tenir à un œuf bénédictine.
On a commencé par les galeries Lafayette, tout près.
- T’es-tu sûre, Sarah-Lyne, que ça soit une bonne place pour commencer à magasiner ?
- Fie-toi sur moi, mon grand !
J’ignore comment, mais plutôt que de nous retrouver dans le rayon des hommes, nous avons abouti dans celui des femmes et plutôt que ce soit elle qui m’aide à expédier mes nécessaires achats, c’est moi qui dût rester là, planté comme un poteau de cèdre, à répondre que ça lui allait à ravir chaque fois qu’elle faisait coulisser le velours noir d’une cabine pour exécuter une pirouette de mannequin devant mon œil admiratif certes ! mais progressivement excédé.
- Puis, qu’est-ce que t’en penses ? Comment tu me trouves ?
- Superbe, Sarah-Lyne - encore une fois !
- Ah ! Regarde celle-là comme elle est jolie ! Penses-tu que ça m’irait bien ?
- J’en suis convaincu. Mais Sarah-Lyne, le temps passe. Je commence déjà à ravoir faim. Puis les foules et moi, ça fait deux !
- Attends, une dernière !
- …
Le manège s’est poursuivi un long moment mais on a fini par bouger. Je crevais de faim : j’avais déjà tout digéré mon blé noir. On a fait un détour par le comptoir de parfumerie et cette cacophonie d’odeurs sucrées, suaves, fleuries, fruitées, vanillées, pimentées… m’a tout simplement donné le tournis. Presque mal au cœur. Enfin la mercerie ! J’expliquai le plan de match à Sarah-Lyne. Il était pourtant d’une simplicité enfantine.
- D’abord les chemises. Une bleue, une blanche, une grise; peut-être une autre. Ça devrait suffire. Cravates ? Sarah-Lyne, c’est ton rayon : quatre. De couleurs différentes de préférence…
- Franchement, Yves, pour qui tu me prends ?
Je lui lançai un clin d’œil.
- Après ça il ne restera que des pantalons, des bas et des souliers, puis on est en bizniss pour des années ! On n’aura plus qu’à aller au resto et à sortir dans un bar ou une boîte après ça.
- C’est vrai ?!
- Puisque je te le dis.
- Yé !
Sarah-Lyne a un peu boudé quand j’ai refusé de piger dans l’éventail de cravates yéyé et de chemises bigarrées qu’elle m’avait si soigneusement composé avec l’aide d’une vendeuse aussi dévouée que compréhensive. Bordel, les filles ! sobriété, connaissez ?
- Sarah-Lyne, les chemises, j’avais dit que c’était MON département.
- Oui mais regarde comme elles sont belles !
- Je suis pas chanteur de rock ni didjé, Sarah-Lyne; je veux que les gens au bureau pensent que je suis un informaticien, sérieux de préférence.
- Ben oui… Un informaticien sérieux, mais excentrique. Qui a du goût et qui est à l’avant-garde.
- Ça existe pas des progressistes-conservateurs, Sarah-Lyne. C’est un paradoxe, un oxymoron.
- C’est toi le moron…
- Sarah-Lyne, simonac !…
Elle était vexée. Je me suis donc compromis et ai pigé au hasard dans ces peaux de serpents aplatis pour en conserver une et l’ai expédiée dans le sac, avec le reste des achats, puis j’ai procédé en cinquième vitesse à mon propre choix de cravates parmi les dix mille qui pendaient d’un genre de palmier trapu dont le tronc en chrome pivotait. Enfin ! terminé.
En sortant, on devait traverser une forêt de manteaux de cuir… en pré-vente d’automne. Merde. C’était pas suffisant de devoir faire le tour de tous les perfectos, manteaux longs, trois quart, etc. pour femmes, il a fallu qu’on parcoure ceux des hommes et que j’en essaye moi aussi.
- Regarde celui-là. Je suis sûre qu’il t’irait bien; tu serais beau là-dedans il me semble. Tu sais, il pleut souvent à Paris, l’automne. As-tu un manteau d’automne ? Et puis il est en spécial… C’est pas cher deux mille francs pour un manteau de cette qualité-là.
- Non t’as raison. C’est à peine le prix d’un verre de bière…
Elle esquissa un rictus. N’empêche, elle marquait un point avec le manteau d’automne. Ça m’en prenait un. Et puisqu’on était à Paris, capitale de la mode, ce ne serait sans doute pas bon chic bon genre de se promener en imperméable sous la pluie. Tandis qu’en cuir ! Morrisson et Keanu Reeves n’auraient qu’à aller se rhabiller (d’après elle). Allez hop, dans le sac toi itou !
Bien sûr, j’ai fait un saut une fois rendu à la caisse. Mais bon, je m’attendais à devoir étendre la palette. Ça adonnait bien, j’avais reçu une paye qui avait fait écarquiller mes yeux néophytes dans la lecture de semblables montants quelques jours plus tôt. En plus, les caissières ne voyaient aucun inconvénient à ce que je débourse par chèque. Curieux la France, où tu peux t’accaparer (procurer) tout un garde-robe avec un chèque dans une grande surface mais ne peux t’ouvrir un compte en banque ou signer un bail sans l’accord du G8, la paraphe du maire, l’émission en trois exemplaires des prévisions budgétaires de ta compagnie, l’accord de la préfecture et la permission de ta mère... Parallèlement, je me remémorais toutes mes dèches au Québec, toutes les fois où j’allais boire un dernier vingt dollars, incapable de lui trouver utilité plus impérative dans les conditions extrêmes où j’étais acculé. Quand, seul, déprimé par le béesse et ses nouilles (avitaminose), plus capable de faire face aux comptes qui se multiplient et te cernent (entourent) comme des loups , aucune lune ni fanal pour t’éclairer, avec l’audace du désespoir, tu te lances à l’attaque du monde et de l’ombre en gaspillant tes dernières cartouches. Vive l’art et la poésie ! Vive l’homme et la liberté ! Vive l’âme et son refus de mourir ! Chin chin à la vraie vie et gloire aux guerriers qui toffent ! Le reflux acide de la rancœur grimpa mon œsophage à cette réminiscence. Ce qu’il faisait bon être poète maudit au pays des engelures ! L’informatique m’avait littéralement sauvé la vie… Pour la première fois de mon existence, j’avais de l’argent. Et ça me faisait tout drôle à l’âme.
C’est la première fois où je fus témoin d’un de ses malaises. Je sais aujourd’hui que c’était sa maladie, mais comment aurais-je pu alors le deviner ? J’ignorais qu’elle en était atteinte ! Certes il m’était arrivé de percevoir chez elle des faiblesses momentanées, genres de passages à vide d’énergie où un voile gris passait dans son regard ou estompait la gaieté sur son visage, mais ce n’était à mon esprit que coups de fatigue des plus normaux pour ne pas dire sains. Des ressacs légitimes (prévisibles), de rares mais nécessaires flaques d’eau stagnante dans le cours (rafting) tumultueux de ses jours sur-oxygénés. La jeune nymphe souffrait d’une baisse de pression, d’un étourdissement bénin, je ne sais. Quelque chose de (un gros flash mauve) normal chez quelqu’un qui brûle la chandelle par les deux bouts, quoi ! Mais pas cette fois-là. C’était plus inquiétant.
En me retournant avec mes sacs pour l’apercevoir, j’ai tout de suite senti que ça n’allait pas. Elle était un peu en retrait. Ses yeux me fixaient et pourtant je ne la sentais pas là du tout, absente. Deux billes noires, mais totalement dénuées d’expression, comme ceux d’un animal ébloui. Elle était toute blême de surcroît (chez nous on dit blanche comme un drap). Un petit look d’outre-tombe qu’aurait jalousé bien des jeunes gothiques !
- Sarah ? Est-ce que tout va bien ma belle ?… Sarah-Lyne ?!
Il n’y avait plus d’abonné au numéro. Évidemment, ç’a fait boum ! J’ai vu ses yeux se révulser, puis tous se muscles se relâcher en commençant par le cou. J’ai pas eu le temps de rien faire, même pas d’échapper mes sacs.
- Merde ! Sarah-Lyne !
Là j’ai échappé mes sacs puis plongé jusqu’à elle.
- Répond moi, Sarah-Lyne ! Qu’est-ce que t’as ?
Fatal error in memory access (disk failure) : fallait entamer la séquence de reboot au plus vite. J’ai tourné Sarah-Lyne sur le dos, ai grimpé ses jambes sur mon épaule tout en lui giflotant le visage pour que sa conscience revienne. Elle ne saignait nulle part : elle ne semblait pas s’être sérieusement blessée en tombant. Ma vision périphérique m’annonçait qu’un attroupement (colloïde d’humains se formait) s’agglutinait autour de nous, sans néanmoins que quiconque offre son aide. Normal à Paris. J’entendais aussi une curieuse rumeur derrière moi…
L’ennui avec Sarah-Lyne, c’est qu’il a toujours fallu qu’elle se fasse remarquer. Sur les planches. Quand on sortait. Dans la vie en général. Même inconsciente !… Sarah portait une jupe d’été. Jupe qui bien évidemment glissa quand je surélevai ses jambes pour que le sang afflue au cerveau. Mais sous la jupe d’été, il n’y avait pas de bobettes, et notre curieuse position associée avec la nudité de ses fesses contre mon flanc nous donnaient je dois admettre l’air d’un curieux couple en train d’entreprendre avec passion et tragédie de curieux ébats en plein hall d’un complexe commercial bondéÉvidemment je n’allais pas lui en tenir rigueur alors que tout juste elle reprenait conscience. Mais quand même ! c’était un don chez elle. Et une fois de plus il se manifestait de façon patente.
- Sarah-Lyne… Ça va-tu mieux ?… T’as perdu connaissance, ma belle.
Ses grands cils papillotèrent quelques coups, puis elle se tourna vers moi, encore éberluée (hébétée). Je déposai ses jambes sur le terraseau et couvris aussitôt ses cuisses. Ok. Allez-vous-en les petits bums ! Le spectacle est fini. Ouste (avant que je me fâche) !
J’enlignai la table d’un café et la transportai jusque là.
- Doucement… Asssis-toi (assieds-toi) ici. Bouge pas. Je vais juste chercher mes sacs pis je reviens tout de suite.
Sa tête alla s’échouer dans ses paumes et elle soupira avec une peine nauséeuse.
C’était écrit quelque part dans le livre des jours (le roman du temps). Cette journée-là (page-ci), rien ne fonctionnerait. C’était peut-être aussi mon karma qui refaisait des siennes ? Ou encore pluton qui se cantonnait en carré ? Peu importe. Les sacs avaient disparus. Jusqu’au dernier. Un clown avait profité de notre mésaventure (la diversion) pour pratiquer son tour de prestidigitation et disparaître par le même tour de passe-passe…
- Ah, tabarnak !…
Ils n’avaient pas même oublié le portable de Sarah-Lyne ! Après avoir intensément fait du regard le tour comme un phare scrutant la lisière océane en quête de marins à sauver et m’être aussitôt résigné à ne jamais les retrouver dans cette foule qui se dispersait, se déplaçait en tous sens dans la place et aussi insaisissable que les risées sur l’eau, je me souviens avoir entr’aperçu avec dépit l’ampleur de la composante de sauvagerie qu’il y avait dans la civilisation, finalement. L’Europe (le monde moderne) se déshydratait comme une vieille mer de sel et le peu d’eau restant était aussi inbuvable (infecte impropre ) que de la saumure ! Bordel de merde, j’avais les bleus ! La rage serrait mes mâchoires et crispa mes poings. Ce gars-là venait de frotter le soufre de la fureur sur ma peau mais ne me laissait que l’allumette mouillée de son absence pour prendre en feu… Qu’y pouvait-on, en définitive ? Et Sarah-Lyne était là, encore mal en point, qui avait besoin de moi...
(À suivre... Si jamais je poursuis ce texte, car vous en savez maintenant autant que moi sur l'histoire d'Yves et de Sarah-Lyne. Enfin, le reste est dans ma caboche...)
6 commentaires:
Il est parfait ce part IX..J'étais aux Galeries Lafayette avec Yves et Sarah-Lyne; une très belle scène...de cinéma.Mais on dit, ou écrit: UNE garde-robe. On est en France, après tout!
Un génocide dans un kleenex ! Mouahahahaha ! L'avais jamais entendu celle-là ! Trop drôle !
Par contre, tu peux pas arrêter ton histoire de même. Faut tu continusses (!!!) à les faire vivre ces deux tourtereaux-là ! Moi j'veux un roman, une trilogie, une épopée, une bible !!! Pliiiiiiiiiiiiiiiizzzze !
(j'en arrache avec les commentaires a matin!)
Ah coyote...Moi aussi "j'veux un roman, une trilogie, une épopée, une bible !!!" (Désolée M. Dion, c'est trop bien dit).
Incroyable comme t'écris bien Coyote. C'est passionnant, drôle, touchant, émouvant...Géant!
Aaaaaaahhhh (soupir post-orgasmique)... Comme dirait la "Poune" : Merci mon public !!!
;o)
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