(... Suite)
J’ai toujours aimé m’endormir près d’une fenêtre; surtout s'il pleut. Ça me rappelle quand j’allais dormir au Metgermet chez mon Grand-père, enfant. Sécurisant (un tiroir de poésie dans le bureau de ma mémoire). Comme si la nature elle-même nous berçait en mère attentionnée...
Le feu crépitait dans la truie. Les adultes jouaient parfois au cartes ou se contaient des histoires d’adultes, des choses qu’on ne comprenait pas ou qui ne nous intéressaient nullement mais dont la narration apaisait nos oreilles à Isabelle et moi, nous berçait au creux de nos lits superposés. Je préférais toujours dormir en haut, même si une fois je suis tombé en dormant. Le propane chuintait et le cadran à ressort émettait son tic-tac régulier comme le cœur d’une baleine (métronome de la prof de piano). Au loin, parfois lors de leurs silences, le renard glapissait ou le hibou hululait. Coyote aussi. Grand-Maman ouvrait les truites pêchées à la brunante ou durant la journée par les invités et mon grand-père et pompait l'eau pour les nettoyer sous la champelure hoquetante. On avait pêché Isa et moi, puis on s’était lassé parce que la truite est un poisson capricieux et sauvage qui n’obéït jamais à vos désirs, même avec des vers de terre bien gras et des dare-devils flambant neufs. Puis on avait mangé de l’oseille sûrette et des paparmanes blanches de thé des bois qui rampaient aux pieds des épinettes. Puis j’avais eu l’idée de tuer des grenouilles avec un arc mais Isa trouvait ça cruel et n’avait pas voulu jouer à ce jeu. Je m’en étais lassé, car elles n’étaient pas très coopératives non plus et j’étais tombé dans la vase, près des nénuphars où elles habitent. On s’était fait piquer par les mouches noires et déjà les maringouins commençaient à sortir eux aussi à l’approche du souper, quand les hirondelles s’agitent et font l’aller-retour entre la surface du lac et leur nid d’argile séchée à l’encognure du toit. Grand-Papa avait allumé les torches au naphta sur le quai et devant le chalet afin de les éloigner avec leur grosse boucane noire goudronnée. Puis Isa avait trouvé un nouveau jeu : on piquait une brindille ou branche dans les cloques de résine des sapins, puis on la lançait dans l’eau stagnante. Ça devenait des fusées aux traînées multicolores et on faisait des courses, mais, même si je me gommais de résine au point de me faire disputer par ma grand-mère avant la prière du souper, les XL5 d’Isa gagnaient la plupart du temps et ça me frustrait au point que je finisse par bouder. (Quand on a cet âge, on accepte difficilement de se faire battre par une fille.)
Pour les réveils, c’est différent. J’aime moins les fenêtres. Ce soleil qui nous saute au visage comme un chien énervé sur l’estomac le matin, trop heureux de commencer sa journée, les pattes encore pleines de rosée, ç’a m’a de tout temps énervé et rendu bourru. Le lendemain matin, ç’aurait sans doute été une fois de plus le cas, mais la première chose qui est apparue après le générique des rêves, c’est le visage de Sarah-Lyne, penchée sur moi. J’ai juste eu le temps de réfréner ce grognement d’ours qui déteste se faire réveiller au beau milieu de l’hiver quand elle m’a touché, puis d’ouvrir un œil, et elle était là, éclaboussée par un passage ensoleillé alsacien. Bouche bée (moi, en tous cas !). J’aurais dû aussitôt la saisir et l’amener à moi, l’entraîner dans la caverne de mon sleeping bag, faire fi du reste de l’univers, de la conscience, des qu’en dira-t-on, des bruits de cafétière dans la cuisine et de l’odeur des croissants au beurre et des chocolatines qui voltigeait dans la pièce en sertissant son odeur à elle. Mais je ne l’ai pas fait. Je ne suis pas ce genre de gars (du moins extérieurement). Surtout au début d’une convalescence karmique. N’empêche, elle a lu le trouble qui a dû voiler mon regard comme l’ombre d’un orage, une chaleur plus vieille que le feu, une complainte ancestrale, issue de la nuit des temps et qui se déploie comme un écho aux ailes de condor entre les parois vertigineuses des générations. Un moment, elle est restée comme saisie elle aussi. On a figé tous les deux. Un bref instant. Muets. Intenses. À ne pas s’avouer ce que nos regards hurlaient à tous vents. Sans trop comprendre ce qui se passait à ce moment précis, quelque part en Europe. Puis, réfutant tout ça, je crois bien que nos sur-moi ont pris le dessus, comme ils le font chaque matin pour chacun avant d’ouvrir la porte qui mène aux autres.
- Salut.
-Salut...
- Réveille, mon grand… T’as assez dormi. On veut pas partir trop tard.
- Humm ouais… OK, j’me lève.
- Tu veux-tu un bon café ? Bruno vient de faire de l’espresso ?
- OK. Café et croissant, pourquoi pas ? On est en France après tout !…
Puis je baillai un bon coup en m’étirant comme un chat, tout en l’observant se diriger vers le comptoir...
Étrange des fois comme les gens nécessitent peu de sommeil. J’envie cette énergie, cette vitalité, ces réveils explosifs qui vous catapultent vers vos journées et la réussite de vos vies. J’observais un moment Guillaume-Antoine, verbo-moteur déjà malgré l’heure matinale, mais moins encore que Bruno, et Sarah qui, elle, s’affairait maintenant à servir le café dans des genre de bols à soupe Won Ton. J’avais toute la misère du monde à me tenir assis et à les regarder en retirant ces pierres de lune accrochées à mes cils. J’ignore pourquoi, mais je suis une plante moins matinale que d’autres. Et ce n’est qu’à la fin du jour que mon éclosion a lieu, juste avant l’apéro en fait. Anyway, fallait se lever : mon amour le réclamait. (Oups ! lapsus…)
On a visité comme prévu la cathédrale. Magnifique, ça l’était vraiment. Colossal. Époustouflant. Du gothique à l’état pur. Pharaonesques architectures s’élançant au ciel comme des flèches sur Dieu.. Sculpture monumentale dont l’effort nécessité pour la construction, réparti au travers siècles et générations, me sidérait. Sculpteurs de gargouilles de père en fils durant 23 générations, voyez le genre ? Une entreprise de l’ordre de la Tour de Babel dont un acharnement héroïque était venu à bout. Presque : manque un des deux clochers. Petit vice de forme dans les plans du début. Bruno nous expliqua que le sol, ancien marais rempli, n’aurait pu supporter le poids de la seconde tour. Échec et mat à la symétrie. Ça lui donne néanmoins un petit genre… J’utilisai un film au complet dès la première orbite et les amis s’impatientaient déjà, surtout qu’ils l’avaient vu plusieurs fois. J’entraînai néanmoins Sarah-Lyne par la main à l’intérieur tandis que Bruno et Guillaume acceptèrent de s’échouer à la table d’une terrasse tout près de la maison brune (dont les murs ont la particularité d'être évasés) pour nous y attendre.
C’était sombre à l’intérieur. Nos pupilles durent s’ajuster comme des diaphragmes (obturateurs) de caméra. Les vitraux se révélèrent en premier, puis arches, montants, autel, sculptures et mille détails nous hypothermiant d’admiration.
- Wow, c’est cool, hein Sarah-Lyne ?
- Mets-en. Renversant.
Une atmosphère de recueillement s’élevait doucement comme la fumée des lampions jusqu’aux inatteignables arcs qui strient le plafond. Je m’imaginais dans un couronnement médiéval ou en plein milieu d’une partie de Dongeon et Dragon… Duc Cédric de Vadeboncoeur du Pourfend-le-faible-au-nom-du-Roi, sacré chevalier, en échange de loyaux services rendus au royaume (à l’ordre établi), et pour la touche supplémentaire de zèle sanglant qui plus est, alors que la foule de manants s’entassait à l’entrée payante pour nous voir, ma dame et moi, et admirer les frioritures d’or sur nos capes et les rubis de son diadème… Robin Vadeboncoeur des bois, acceptez-vous dame Marianne ici présente… ? Mieux : Tristant et Iseult (Pierre et Éloîse), contrits de pénitence et qui refusent de s’avouer leur amour en s’abîmant dans la prière comme on saute d’une falaise normande… Tout de même un sacré décor !
Sarah-Lyne et moi fîmes le tour de la nef. Une fois revenu aux lampions, elle me demande mon briquet et allume une de ces chandelles cordées comme des chœurs d’enfants rouges sur une estrade.
- Faut laisser un peu de sous pour que ça fonctionne, Sarah-Lyne…
Elle me toisa. J’ignore à quoi elle pensait, mais ça ne l’a pas fait rire du tout. Et pour la première fois peut-être, du moins avec autant de précision, j’aperçus un cumulo-nimbus couleur d’encre voiler la lumière habituelle de son regard.
- Je rigole, tentai-je de m’excuser, mal à l’aise de l’avoir vexée.
N’empêche, on suggérait de laisser une contribution pour l’entretien de la cathédrale, ce que je fis de bonne grâce pour nous deux. Puis j’allumai à son exemple un lampion avec le briquet qu’elle me remit. Je ne voulais pas qu’elle croit que j’avais tenté de ridiculiser sa foi ou son geste. J’ignore en quoi consistait sa prière ou sa demande et qui l’avait rendue aussi susceptible, mais je n’eus aucune difficulté à formuler mon souhait en la regardant s’éloigner pensive dans l’allée.
Après 1870, les Allemands venaient ici pour faire la fête et y rencontrer les prostituées françaises. C’est pour ça qu’on appelle ce cartier de Strasbourg la petite France. Là où sont les digues et canaux. C’est l’Alsace comme on la voit sur les cartes postales que j’ai envoyées tout à l’heure à Isa et aux autres membres de ma famille, avec la maison du tanneur qui croule sous les boîtes à fleurs et toutes ses sœurs et voisines aux colombages si typiques du Bas-Rhin. Quand Bruno nous exposa sa leçon d’histoire, je décelai une fois de plus une animosité rémanente vis à vis l’Allemagne, les Allemands. Les Bochs par-ci, les Fritz par-là. Ce n’était pas la première fois que j’étais témoin de cette méfiance entre les nationnalitéss, héritage sans doute d’un trop lourd passé commun, depuis mon arrivé en Europe. Mais de l'entendre de la bouche du souriant Bruno me laissait un peu perplexe. Curieux l’Europe, des fois : les Espagnols, qui détestent les Allemands, qui dénigrent les Italiens, qui rient des Français, qui narguent les Belges, qui jurent que c’est de la faute aux Anglais… Chacun ses chicanes de clocher. C’est ambigu, complexe. Comme cette relation d’amour haine vis-à-vis les Américains que j’avais observé dans les bistrots ou bars à Paris. Les Ricains par-ci, les Ricains par-là, comme des Vercingétorix qui résistent à César et à ses troupes… Mais quand on les fustige ou les dénigre, on ne manque pas d’inclure dans nos diatribes (harrangues imprécations) l'anglicisme à la mode, la réplique in du dernier Major d’Hollywood. Ze magic touch, quoi !... Sont fous, par là-bas.
Finalement, y'a que nous, contre qui on râle pas trop. Pas encore.
On était affamés en fin d’après-midi et en plus d’une saucisse alsacienne avec choucroute et patates rissolées, d’après Bruno, il faillait goûter à leur Flammekiche (??), une sorte de pizza patate-bacon-oignons qu’on dévora en l'accompagnant une fois de plus de quelques coupes de pinot gris (Toquay ?). On avait l’estomac gonflé comme des ballons de rugby quand on a quitté la terrasse et sommes partis pour l’Allemagne et Sarah-Lyne se plaignait d’avoir trop mangé parce que ça la ferait engraisser. C’était très mauvais pour sa carrière d’actrice...
- Sarah-Lyne, exagère pas. T’es aussi mince qu’une Parisienne ! Je pense que tu peux facilement te permettre de prendre quelques livres sans avoir à changer de jeans ou que ta carrière tombe à l’eau…
-C’est important, l’image, pour nous…
- Pas rien que pour toi ! Personnellement, je trouve que ça prend pas mal toute la place à notre époque pis qu’y en reste plus beaucoup pour d'autre chose. L'important, entre autres.
D’ordinaire, les gens détestent ces vérités de la police... Sarah-Lyne aussi, semble-t-il : elle fit silence et baissa les paupières comme si mon grief lui avait été personnellement adressé. Oups, moins un.
Probablement parce qu’on avait autant bouffé, je me suis assoupi peu après avoir traversé le Rhin et la frontière et ai fini par m’endormir la tête contre la fenêtre, léché par les rayons obliques et chauds du soleil. Massé par les vibrations de la Renault et la main du vent dans mes cheveux, je dormais et rêvais à fond la caisse à des rêves qu’entrecoupaient avec bizarrerie les propos de Guillaume-Antoine ou les éclats de rire de la belle Sarah-Lyne. Jusqu’à ce que Bruno me réveille en me brassant légèrement.
- On est presque arrivés, chef.
Il faisait encore clair, mais la nuit n’allait plus tarder. Nous étions à l’Est : le soleil se couchait plus tôt qu’à Paris. Je n’avais aucune idée de l’endroit où nous étions rendus. C’était un chemin de terre, puis un autre, et un autre encore. Toujours en suivant les écriteaux blancs qui annonçaient le rave. Des conifères et du bouleau parfois comme chez-nous, puis des grands champs. D’autres voitures suivaient. Et de temps en temps, dans les bouts droits, avant de disparaître derrière l’orée d’un autre boisé en tournant, j’apercevais les feux rouges d’un véhicule qui nous devançait. Avec la pluie d’hier et la quantité phénoménale d’autos qui devaient nous avoir précédés, nous nagions dans la boue et plus d’une fois j’ai cru que la Renault allait s’embourber dans les ornières et qu’il nous faudrait pousser comme les Jarrets noirs d’autrefois. On est passé. Comme un canoë d’écorce dans les rapides, plein d’appréhension, puis de soulagement en atteignant l’eau calme. Guillaume-Antoine s’est stationné sur le côté un bon kilomètre encore avant d’arriver au rave. On a marché en file sur le côté, Sarah-Lyne et Bruno derrière moi, évitant les trous d’eau, sautant sur les tales d’herbes et glissant immanquablement dans la vase à un moment donné en beurrant nos chaussures. Quand je suis parti à sacrer, Bruno a trouvé ça très drôle. Le groupe derrière nous tonitruait en allemand avec un accent à faire peur. En voyant les centaines de véhicules cordés dans le parking avec des plaques de différents pays, les molécules de gens qui gravitaient un peu partout, la foule, compacte, solide, qui déjà s’entassait autour du chapiteau ou sous les autres tentes, j’ai eu l’impression d’arriver à Woodstock.
- Ayoye !…
- Surpris, mon grand ? me décocha Sarah-Lyne en même temps qu’un coup de coude amical dans les côtes.
- Ouais… Un peu… Pas mal, même !... Mais y’a DONC BEN DU MONDE !
C’est ça un rave, mon grand.
- Tout ce monde-là va pas rentrer en-dessous du chapiteau ? Ç’a pas d’allure !…
- Il n’y a même pas la moitié des gens d’arrivés…
Ça me laissait coi. Je poursuivis.
- Je pensais que les raves, c’était en-dedans, à l’intérieur…
- Normalement. Ça c’est un rave en plein air, un dance extérieur.
- Genre un peu Noël du campeur ?… C’est comme Noël, mais en été ?…
Elle sourit.
- Disons que ça se veut un tantinet plus santé…
- Comment vous allez faire pour trouver vos amis là-dedans ?
- T’en fais pas. On s’est donné rendez-vous tout à l’heure à côté du didjé. De toutes façons, on finit toujours par trouver ceux qu’on doit trouver dans la vie...
Je me retournai et dévisageai Sarah-Lyne avec toute la gravité dont je suis capable. Si ça, elle ne le comprenait pas !
(À suivre...)
lundi, février 07, 2005
Feuilleton Webo-Balzacien, chronique électronique (en rappel) - PART VI
Publié par
Coyote inquiet
à
8:06 p.m.
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