L'INCROYABLE MAIS VÉRIDIQUE HISTOIRE DU «FREE MINING» AU QUÉBEC
On est tous coupables de ça. On est tous coupables
du comportement de la compagnie minière Osisko à Malartic,
car nous avons toléré trop longtemps
les abus de la Loi sur les mines.
Nicole Kirouac,
Comité de vigilance de Malartic
La Loi sur les mines du Québec repose sur le principe du free mining – exploitation minière libre - importé directement du Far West américain au XIXe siècle. Ce principe colonial donne à l'entreprise privée un accès libre au patrimoine minier du Québec. Libre de toutes contraintes sociales et environnementales et pratiquement libre de tout contrôle gouvernemental.
La Loi sur les mines prévaut sur un grand nombre d'autres lois qu'elle contredit et désavoue de moult façons. Elle entre en conflit avec la Loi sur le développement durable, avec la Loi sur les compétences municipales, avec la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, avec les droits constitutionnels des peuples autochtones, etc. Elle permet aussi d'échapper, dans la grande majorité des cas, à l'examen du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE). À cela s'ajoute un abus tout aussi incroyable : la Loi sur les mines, que l'on peut qualifier de loi scélérate, bloque explicitement l'accès du public à toute information concernant les droits d'exploitation concédés à l'industrie minière (art. 215 et 228).
Bref, la Loi sur les mines endosse de facto le postulat – jamais démontré – que l'appropriation et l'exploitation «libres» de la ressource minérale par l'entreprise privée constituent ce qu'il y a de meilleur pour l'intérêt public. C'est en vertu de cette prise de position biaisée que le free mining a préséance absolue sur toutes les autres activités et utilisations du territoire. Voilà la vraie cause des abus dénoncés par Madame Kirouac et le Comité de vigilance de Malartic.
Une loi venue du Far West américain
Quand il s'est agit de réglementer l'exploitation minière au Canada et au Québec, les gouvernements se sont inspirés d'une législation californienne du milieu du XIXe siècle. En 1848, d'importants gisements d'or sont découverts en Californie, jusque-là territoire mexicain. Cette même année, les États-Unis achèvent la conquête de tout le Nord du Mexique, dont la Californie. C'est la continuation de la Conquête de l'Ouest, ce processus d'appropriation par la force d'un immense et riche territoire. Avant que la Californie ne devienne officiellement le 31e État des États-Unis, en 1850, ce lointain territoire se trouve pratiquement sans gouvernement et sans cadre législatif. C'est dans ce vide juridique d'un État en structuration que les 40 000 prospecteurs et aventuriers de cette première ruée vers l'or établissent leurs propres règles d'accès au précieux métal. C'est le principe du premier découvreur qui s'impose. Le premier occupant place un claim sur le territoire qu'il réclame, en plantant des piquets qui en délimitent les frontières. Quand au début des années 1860, les autorités gouvernementales seront en mesure de légiférer, la pression sera si forte qu'elles se croiront dans l'obligation de fonder la loi des mines sur les normes et coutumes en vigueur, soit le free mining ou libre accès.
Au Canada-Uni (issu de la fusion du Bas-Canada et du Haut-Canada en 1840), lorsque les autorités coloniales décident de légiférer, en 1864, le système de l'acquisition par claim, importé de la Californie, s'est déjà imposé dans toute la colonie. La Loi concernant les mines d'or, consacre tout simplement le principe du libre accès, nommé free entry par les législateurs. C'était avant la Confédération. L'Acte de l'Amérique britannique du Nord, promulguée en 1867, donne au Québec, devenue une province du nouveau Canada, pleine juridiction sur ses ressources minières. En 1880, alors que l'industrie minière a déjà pris une certaine ampleur, le gouvernement du Québec juge le moment venu d'instaurer une législation plus englobante. Les politiciens d'alors, dont certains ont des intérêts dans les mines, ne voient rien de mieux que de copier à la fois l'ancienne législation du Canada-Uni et celle en vigueur en Californie. C'est ainsi que la Loi générale des mines de Québec de 1880 consacre et légalise le principe du free mining.
Par la suite, tous les gouvernements du Québec, de Taschereau à Charest, en passant par Duplessis et Bouchard-Landry, préféreront se plier aux exigences et intérêts du puissant lobby minier plutôt que de déclarer ce riche patrimoine bien public inaliénable et d'en faire profiter l'ensemble de la nation.
Une incroyable facilité d'accaparement d'un bien public
Voilà pourquoi, dans le Québec d'aujourd'hui, pour acquérir un droit de propriété sur la ressource minière, une compagnie n'a qu'à placer un claim – réclamation - sur un territoire déterminé où elle croit pouvoir trouver de l'or, de l'argent, du fer, du zinc, du titane, du cuivre, des diamants ou autres métaux dont regorge le sous-sol québécois. Le claim équivaut à dire: «Je réclame le droit exclusif d'exploiter et de m'approprier la substance minérale que recèle ce terrain». Cette réclamation s'adresse au gouvernement, propriétaire en titre, au nom de la collectivité, de tout le sous-sol québécois. Automatiquement, le ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) acquiesce. La compagnie se trouve ainsi en possession d'un droit minier. Par la suite, elle obtient facilement du MRNF un bail minier ou une concession minière. Il s'agit d'un droit minier défini par la loi comme un droit de propriété «réel et immobilier» (article 9) sur tout le minerai qui se trouve dans le gisement.
Une compagnie peut placer un claim aussi bien sur les terres publics que sur un terrain privé. Un propriétaire ne peut s'opposer à l'intrusion sur son terrain d'un individu ou d'une entreprise en possession d'un droit minier. L'article 26 de la Loi stipule que «nul ne peut interdire ou rendre difficile l'accès à un terrain contenant des substances minérales». La compagnie n'a pas besoin d'informer le propriétaire ni d'obtenir son consentement pour y installer les infrastructures nécessaires à l'exploration et à l'exploitation. Si elle ne peut s'entendre à l'amiable avec celui-ci, elle peut l'exproprier.
On aura noté que la loi opère une distinction entre les droits de surface (droits fonciers) et les droits de sous-sol (droits tréfonciers). Comme le stipulaient les lois coloniales: le fonds est au seigneur, le tréfonds est au roi. Cette vieille tradition fait de toutes les ressources tréfoncières un bien public.
Comment s'obtient un claim? Par jalonnement ou plus simplement par «désignation sur carte». Le jalonnement consiste à jalonner le territoire réclamé, c'est-à-dire à planter aux quatre coins du terrain «claimé» des piquets munis d'une plaque bleue. Ces plaques s'acquièrent auprès du ministère au coût modique d'une piastre chacune. La désignation sur carte, devenue le principal mode d'acquisition, est beaucoup plus simple. C'est la méthode du click and claim facilitée par GESTIM, un site internet mis à disposition de l'industrie minière, en 2001, par le gouvernement du Parti québécois. L'attribution des claims se fait sur la base du premier arrivé, premier servi. Le coût est minime: 26$ pour moins de 25 hectares; 52$ pour un claim de 25 à 100 ha; 78$ pour plus de 100 ha.
Le Québec, un paradis pour les minières
En fait, c'est le même système ci-haut décrit qui s'est imposé partout en Amérique du Nord. Toutefois, étant donné la connivence légendaire qui s'est installée entre nos gouvernants et les barons de l'industrie minière, la loi québécoise sur les mines s'avère plus permissive que partout ailleurs. Les gouvernements des deux dernières décennies, tous imbus de l'idéologie néolibérale libre-échangiste, redoublent de zèle dans l'abandon de nous ressources au secteur privé.
L'Institut Fraser, un think tank très conservateur, réalise chaque année un sondage auprès des compagnies minières pour connaître leurs opinions concernant les législations les plus favorables à l'exploration et à l'exploitation dans les provinces et États de différents pays du monde. Dans ce palmarès, le Québec se classe régulièrement au premier rang. Petite exception en 2010: le Québec n'arrive qu'au troisième rang. Il s'agit d'un simple coup de semonce: l'industrie n'aime pas qu'à l'Assemblée nationale on discute de relever un brin les redevances... déjà minimes ou nulles.
En avril 2009, un rapport choc du Vérificateur général révèle des chiffres qui s'avéreraient incroyables, si nous n'étions habitués à nous laisser déposséder sans mot dire. De 2002 à 2008, les compagnies minières ont extrait du sol québécois des métaux pour une valeur de 17 milliards de dollars. Quatorze d'entre elles n'ont versé aucune redevance, et les autres n'ont remis au trésor public que 259 millions de dollars. Soit deux fois moins que ce qu'il en a coûté au gouvernement en infra-structures, en crédits d'impôt et en allégements fiscaux de toutes sortes.
La tragédie de Malartic, où des centaines de résidants ont été délogés de gré ou de force pour faire place à une mine d'or à ciel ouvert, est un cas emblématique des abus que permet la loi du Far West qui sévit au Québec. Incroyable mais vrai: avec l'approbation du gouvernement et la bénédiction du BAPE, la multinationale Osisko a «claimé» tout un quartier d'une ville...
Et le gaz de schiste?
Le pétrole et le gaz naturel tombe également sous la juridiction de la Loi sur les mines, que celle-ci considère comme des «substances minérales». Or, par substances minérales on entend non seulement les substances métalliques, mais aussi les substances organiques fossilisées, c'est-à-dire le pétrole et le gaz naturel (article 1). Cela explique pourquoi des compagnies, comme Talisman, fortes de la permissivité de la Loi sur les mines, peuvent se permettre d'explorer tout bonnement sur des terrains particuliers, sans la permission des propriétaires et sans même les en aviser. La loi leur permet aussi utiliser l'eau des alentours et même, au besoin, de dévier des cours d'eau.
L'exploitation du gaz de schiste comporte de nombreux problèmes et risques majeurs : utilisation et contamination de grandes quantités d'eau; injection de divers produits chimiques toxiques; émanation de gaz nocifs comme le radon et le méthane; usage industriel des meilleures terres agricoles, etc. Malgré ces risques, un gouvernement irresponsable a déjà octroyé, à l'insu du grand public, quelque 600 permis d'exploration à des multinationales. Il avait même soustrait cette industrie à tout évaluation d'impact environnemental. Mais durement sonné par les contestations que suscite l'effronterie des entrepreneurs, il vient de reculer... de toute évidence pour mieux avancer. En ce dimanche 29 août 2010, les deux ministres responsables des méfaits de la loi annoncent que le BAPE procédera à des audiences publiques sur l'exploitation du gaz de schiste. Pendant ce temps, l'exploration pourra continuer. Car pas question de moratoire! Dans le plus pur style république bananière, la ministre Normandeau déclare: «Nous ne voulons pas d'un moratoire qui ferait fuir l'industrie».
Le tréfonds du problème
Le fin fond du problème, c'est la philosophie du free mining qui sous-tend la Loi sur les mines. Une loi qui permet à nos gouvernants de livrer une richesse collective à des entreprises privées pour un plat de lentilles. Les lentilles, ce sont ces «jobs de porteurs d'eau et de scieurs de bois» considérés par des gouvernants paresseux comme un moyen facile de combattre le chômage régional. Et pourtant : ces énormes richesses que recèle le sous-sol québécois sont un bien collectif, tout comme la ressource hydro-électrique démocratiquement rapatriée en 1962.
«La nationalisation de l'électricité, est-ce que c'est possible?» C'est la question que René Lévesque a posée alors à des économistes québécois, dont Jacques Parizeau. Après avoir étudié tous les aspects de la question, ils ont eu la compétence et le courage de dire oui. Tous les gouvernements du Québec antérieurs à celui de Jean Lesage - exception faite de l'intervention initiale d'Adélard Godbout en 1944 - avaient laissé les compagnies privées s'emparer de la ressource hydraulique à leur guise et profit. En 1961, quand Lévesque prend en charge le nouveau ministère des Richesses naturelles, il fait deux constats. Premièrement, que le secteur minier est «littéralement sous occupation étrangère» et qu'il «allait tâcher de le rapatrier peu à peu», ce qu'il commencera à faire en 1965 par la création de la Société québécoise d'exploration minière (SOQUEM). Deuxièmement, il constate que le secteur hydraulique exploité par 46 entreprises, dont une demi-douzaine de potentats de l'électricité, constitue «un fouillis invraisemblable et coûteux», anarchique et socialement injuste, qui laisse les régions périphériques mal desservies ou pas desservies du tout. Il en conclut qu'en toute dignité, seul l'État peut et doit gérer cette ressource efficacement pour le bien-être de toute la population et la promotion du développement industriel et technologique du Québec.
Dans son autobiographie citée ci-haut, René Lévesque écrit: «J'entrepris donc de m'attaquer d'abord à ce pan-là de notre dépendance». Il s'agissait de «concevoir un plan de décolonisation pour le secteur hydro-électrique». Il a réussi grâce à une volonté politique irréductible, et cela à l'encontre des élites économiques et politiques qui s'y opposaient. Grâce aussi à l'appui de la population enfin informée de ses droits. On connaît la suite : abondants bénéfices en dignité, en développement économique et technologique et en contribution au Trésor public. Selon le dernier budget gouvernemental, en 2009, Hydro-Québec a versé plus d'argent au Trésor public (4,7 milliards de $) que l'ensemble des entreprises privées (3,2 milliards), soit moins qu'elles en ont reçu en subventions et allégements fiscaux.
En finir avec une «complicité criminelle»
Et maintenant, quelqu'un peut-il répondre à la question suivante: qu'est-ce qui nous empêche, à nous tous qui «avons toléré trop longtemps les abus de la Loi sur les mines», de réclamer la réappropriation de ce bien collectif que sont nos ressources minières? Qu'est-ce qui empêche notre État - «l'État, c'est nous!», clamait Jean Lesage au temps du Maîtres chez nous - de reprendre le contrôle de ce bien collectif, dont le Québec a besoin pour financer ses acquis sociaux?
Un éditorialiste du Devoir, non connu comme journaliste de gauche, affirme, après avoir rappeler que ces ressources appartiennent à tous, que «laisser des compagnies les exploiter sans attendre autre chose en retour que des jobs temporaires, c'est faire preuve d'une complicité criminelle dans le pillage de la rente due aux générations futures» (Jean-Robert Sansfaçon, Le Devoir, le 19 mai 2010). Une rente due à la présente génération également.
Quel parti incarnera le courage politique d'un René Lévesque pour rompre avec cette «complicité criminelle» et achever la tâche par lui entreprise de rapatrier le secteur minier, comme il l'a été fait pour le secteur hydraulique? Qui reprendra le flambeau du Maîtres chez nous?
Jacques B. Gélinas
Le 31 août 2010